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mercredi 11 décembre 2013

De la poésie québécoise, publiée en 2013, sous forme d’idées-cadeaux : par Véronique et Bertrand


Je me souviens qu’à une certaine époque, Voir présentait un Top  5 en poésie québécoise, à la fin de l’année. Peut-être ai-je rêvé, peut-être suis-je en train de délirer, chose certaine on parle peu de poésie d’ici dans les bilans annuels palmarèsistiques. Je ne suis pas le seul à le penser, car mon amie et poète, Véronique Cyr, s’insurgeait récemment de cet état de fait sur sa page Facebook.

Quelques commentaires plus tard, nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait rédiger nous-mêmes ces notices. Première constatation, nous ne voulions pas d’un palmarès ni d’un «top (ajoutez le chiffre que vous voulez)». Véronique et moi souhaitions seulement témoigner de nos lectures appréciées de cette année, surtout celles qui n’ont pas reçu une attention médiatique (de très gros mots inappropriés pour la poésie) convenable selon nous.

Peut-être que Le Devoir, La Presse ou Voir seront inspirés par notre mouvement d’amour pour la poésie d’ici ? Nous sommes persuadés toutefois que nos choix sauront souligner le merveilleux travail des éditeurs de poésie québécoise autant que le talent de ceux qui l’écrivent.

Pourquoi ne pas offrir de la poésie aux gens que vous aimez à Noël ? C’est beaucoup mieux qu’une carte Hallmark, c’est singulier et en plus ça peut même se glisser dans un bas traditionnel blanc et rouge cloué sur le manteau de votre cheminé ou sur votre mur en gyproc !

Mais au-delà des arguments de vente nous voulions souligner à quel point la poésie d’ici se porte bien et comment il nous fait plaisir de la faire connaître.

Chaque livre est associé à un lien qui vous enverra sur la page du site d'achat en lignes des LIBRAIRES, (Le portail des librairies indépendantes du Québec) qui vous donnera la possibilité de le commander directement et d'en faire profiter un libraire indépendant près de chez vous.

Voilà le résultat.


Jonathan Charrette nous offre ici un premier recueil d’une sombre beauté où les mots sont justement des armes blanches, silex et poignards, et se font les complices d’une guerre intime à livrer.
« Le crime est une gymnastique
de la langue.
(…)
je remplis ma bouche de cailloux
âgés de quelques préhistoires
et réclame le baptême du vandalisme. »

L’influence de Denis Vanier parcourt de façon belle et assumée un style d’une solide originalité. Voix poétique à suivre.

Denise Desautels, Sans toi je n’aurais pas regardé si haut, Tableaux d’un parc.
Grand livre de poèmes en prose sur la mémoire et les lieux qui hantent, le parc Lafontaine fait ici figure de pivot central autour duquel se déploie une langue habitée, chargée de jouissance et de nostalgie. Cinquantième titre en carrière de cette grande dame de nos lettres plusieurs fois lauréate de prix prestigieux au Québec et à l’étranger. Un livre bouleversant, accompagné de magnifiques photographies noir et blanc de l’auteure.

« Je me souviens que chaque matin de l’année qui a suivi sa mort, chaque recoin du parc était hanté par le fantôme de Loulou. »


Après les puissants dixhuitjuilletdeuxmillequatre et Le nouveau temps du verbe être, Roger des Roches, lauréat 2013 du prix Athanase-David, nous revient avec La cathédrale de tout, là où :
« La langue qui danse avec la langue.
Danse et fait le blanc et blanc du pas à pas.
Il faut dévorer les émeutes, et j’imprime des chefs.(…) Le bon abîme, le bloc de brûle. » Chez Des Roches, la poésie renoue avec la voyance telle que l’entendait Rimbaud et sa violence est un feu qui éclaire dans le noir.


Dix ans après la parution de Le siège propre chez Triptyque, Caroline Louisseize effectue un retour en poésie chez Poètes de brousse avec un très beau recueil qui joue sur les registres du souffle et de l’attente du pire; le terme Aura renvoyant à un phénomène neurologique précédant la crise épileptique. Tout en dépouillement et en métaphores inquiétantes.

« Clefs du vertige
les rideaux coulent
dans la rivière des petits feux
un jour à la fois
une chandelle pour chaque soupir. »



Après avoir convoqué Hölderlin, Rimbaud et Supervielle dans Les Bras de Bernstein (Les herbes rouges, 2011), Philippe Drouin nous fait plonger, cette fois, dans un univers éclaté où la Nuit de cristal, pogrom antijuif de 1938, tient lieu de fil d’Ariane entre les blocs de poèmes en prose habilement construits dans une ambiance traversée par la grâce et l’effroi :

« Je sonde le crépuscule. Les couleurs jallissent d’une perversion à l’autre. Je connais la gloire à rencontrer les joies qui sont mes ennemies. »


Premier recueil de ce jeune auteur né à Acton Vale, Nœud coulant est un des livres de poésie les plus percutants et prometteurs parus en 2013. La langue est fluide, forte, les poèmes sont portés par une voix qui cherche et trouve toujours son équilibre malgré le nœud coulant d’une perte de contrôle annoncée. On pense à Saint-Denys-Garneau, on entend le souffle de Tristan Corbières, la parole qui s’y déploie est essentielle. Un grand auteur à voir évoluer.

« Une poignée de braise
quelques cailloux rouges
autour de quoi s’affoler :
même le pire des enfers
est habitable. »


Huitième livre de poésie de Thierry Dimanche, Théologie hebdo fait le lien entre ses Encycliques désaxées et ses Autoportraits-robots. Poète baroque à la langue foisonnante multipliant les paradoxes et les alogismes, qui décortique les diverses figures du père, ici même de Djeu, un «Dieu jeu», un «Dieu je», d’où l’idée de la «théologie», Dimanche nous offre ici une de ses œuvres les plus marquantes. Les poèmes du livre sont distribués suivant la structure éditoriale d’un hebdo, d’un journal, soit dans des rubriques de sports, des éditoriaux, des sections voyage, courrier du cœur ou art. Œuvre totale, tous les sujets y sont abordés.  Excroissance théologique du «je», explorations des états d’âmes amoureux, expositions de toutes les fictions du sujet, des avatars de nos moi redondants, Théologie hebdo est une espèce de traité ludique et brillant sur tout ce qui contribue à solidifier la fiction de notre moi.



« Maître de rien, libre avec tout, quand le revirement tendu fait loi de l’échouage retenti dans son contraire et que le vœu ranime sans le vouloir ses fléchissements ancestraux, à rebours d’une descente nous détruisant de l’avant. »

Maude Veilleux a publié plusieurs fanzines et a participé à plusieurs lectures publiques mais nous offre ici son premier recueil officiel. Le titre de son livre, qui rappelle une chanson de Lisa Leblanc, a le mérite de sa franchise vulgaire. Dans les poèmes d’amour déçu, de dépendance amoureuse désolante de Veilleux, rien de trop, une ligne parfois, une seule, et l’émotion naît, nous percute. Entre le minimalisme de Patrice Desbiens et le joual sauvage de Mononc’ Serge, cette poésie réussit à fixer des instants de dépits amoureux avec un maximum d’efficacité littéraire. Excellent premier livre.

« J’ai envie de te toucher
Plus longtemps
Que le temps que
Tu viennes »


Poète québécois majeur, au style singulier, Desgent a publié de nombreux livres mais c’est avec la sortie de Vingtièmes siècles, fresque historique démesurée, chant apocalyptique grandiose à la langue rythmée et graveleuse, qu’il acquiert sa renommée. Depuis Portraits de famille, le poète s’intéresse à ses morts. Dans Ne calme pas les dragons, il nous offre d’autres superbes poèmes qui atteignent le «mal-dit», et traitent tout aussi bien de ses morts que de ses amours mortes. Poète à entendre en lecture publique. Grand performeur.

«Toi moi un corps non :
je dis un mystère est-ce que la langue est au début/
le cœur s’inverse ça saute ça manque
ça fait de la poitrine maigre»

Martine Audet, un peu à la manière de Sarraute, s’intéresse aux tropismes, à l’infra-ordinaire, au quotidien minuscule de l’amour et des émotions. Sa parole distincte, reconnaissable entre toutes, son unité de ton, cette patience esthétique qu’elle déploie en faisant mûrir «les nerfs d’une phrase» en font une voix incontournable de nos lettres contemporaines. Dans son dernier recueil, on retrouve l’Audet de ses grands livres comme Les tables et Les manivelles. Excellente porte d’entrée pour ceux qui ne la connaissent pas encore. En prime, une belle œuvre photographique de la poète en couverture.

« J’enveloppe les jours
Que je ne comprends pas
Dans du papier journal»

Annie Lafleur poursuit une œuvre exigeante. Ses poèmes sont des concrétions cristallisées d’allusions à des expériences corporelles, physiques, des références cryptées, des précipités d’émotions réduits dans la cornue de son imaginaire. Son recueil que je préfère : Handkerchief. Dans son dernier opus, elle nous propose des poèmes minimalistes, à la limite sériels. Peu de mots, des bouts de fils sur la page, mais sculptés. Le titre, Rosebud, évoque le secret du film d’Orson Wells (Citizen Kane), mais c’est aussi une façon de dire que si l’on fait bouillir la beauté, il en reste toujours des matières coupantes, des éclats de verre, des tortures d’allégresse. Lafleur connaît mieux que quiconque les insatiables douleurs de l’extase artistique ou amoureuse.

«doberman pitbull rottweiler/ assener la beauté »








jeudi 5 décembre 2013

La lenteur est une vieille pièce de musée dépolie


La lenteur est une vieille pièce de musée dépolie. On l’a rangée depuis longtemps. Elle n’excite plus personne. Parfois elle réapparait dans les livres, dans les films, à la campagne si on est chanceux, dans le théâtre No, le Kabuki ou la performance d’un artiste contemporain. Mais la plupart du temps, elle ramasse la poussière.

J’ai toujours eu l’impression que la lenteur était le temps le plus animal qui soit. Un appendice de notre passé, greffé à notre peau métaphysique. La lenteur nous permet de saisir les choses dans leur ensemble, leur globalité. Elle s’insinue. Tout la traverse, sa matière est absorbante, poreuse. La lenteur n’est pas pointue, mais étale.

S’éduquer c’est apprivoiser la lenteur, peaufiner nos projets, laisser reposer nos idées. Mais la civilisation industrielle, puis son bébé, la société de l’information numérique, ne nous ont légué qu’une seule leçon : toujours plus vite. Pour faire preuve de politesse affectée envers les autres on leur dit souvent, «ne vous en faites pas, prenez votre temps», quand tout le monde sait bien qu’il y a un délai tacite associé à toute tâche. On tente de nous rassurer, mais on comprend bien qu’on nous impose en douce une minuterie.

Je suis, malgré moi, un engrenage de cette incroyable machine à empressement qu’est devenue notre vie. J’ai appris à écrire vite, penser vite, prendre des décisions rapidement, tomber en amour rapidement, larguer quelqu’un ou me faire larguer promptement, suivre et lire vite les articles discutés du jour sur les réseaux sociaux, donner mon point de vue à chaud, pleurer virtuellement à une heure vingt en témoignant de ma douleur amoureuse en quelques lignes sur Facebook, être consolé à une heure vingt-deux par deux amis dans ma boîte à message du même réseau et par texto, par une autre personne.

Le marché de la pensée et des amours file à une vitesse incommensurable. Je m’impatiente pour des riens, un contretemps dans le moteur des jours devient un problème de fluidité grave, je panique devant une personne qui s’exprime lentement, pourtant je suis un travailleur autonome qui a tout son temps. J’ai attrapé la maladie de nos sociétés contemporaines. J’ai désappris la lenteur.

Pourtant, la nuit, blotti seul sous mes couvertures, deux oreillers en guise d’appui-tête, une chatte qui ronronne à mes côtés, je médite sur le son du monde. Je me réfugie dans le centre du vide qui nous gouverne tous et je tente de me détacher de toutes ces frénésies. Ces moments de lenteur peuvent durer dix minutes, trente minutes, une heure. Je ne tiens pas de compte ni de statistique. Justement. Je me libère de la folie de notre époque, de mes désirs insatiables, de mes frustrations mornes, de mes ambitions caquetantes. Méditation bouddhiste ? Rien que de l’intuitif, un instant qui me permet d’embrasser l’entièreté du monde sans le juger, l’insignifiance de mon existence sans en être détruit.

Parfois j’ajoute une trame sonore à l’exercice. Aujourd’hui, Les Callas de Pierre Lapointe. Mini-album dépouillé, guitare/voix, piano/voix, avec cigales en prime, aux textes sur l'amour rêche et la douleur d'être seul. Je ne deviens alors qu’un réceptacle à musique, qu’un vecteur de sons. J’écoute le monde, son bruit blanc perpétuel, le clignotement de nos têtes.



Je peux aussi me laisser porter par des films tels que Nebraska, d’Alexander Payne; Le cheval de Turin de Béla Tarr ou Le démantèlement de Sébastien Pilote qui mettent tous en scène la lenteur, malgré parfois les constats alarmistes qui accompagnent leurs propos. Ces œuvres cinématographiques viennent pourtant lui redonner ses lettres de noblesse, nous reconnecter avec des émotions simples, nous montrer ce que l’on a perdu à s’agiter et à s’ébattre quotidiennement.






Cette lenteur besogneuse, cette lenteur qui accueille les longs cycles, cette lenteur obsessionnelle que l’on associe aujourd’hui à un handicap resteront bel et bien pour moi, toujours, des vertus courageuses.