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mercredi 11 décembre 2013

De la poésie québécoise, publiée en 2013, sous forme d’idées-cadeaux : par Véronique et Bertrand


Je me souviens qu’à une certaine époque, Voir présentait un Top  5 en poésie québécoise, à la fin de l’année. Peut-être ai-je rêvé, peut-être suis-je en train de délirer, chose certaine on parle peu de poésie d’ici dans les bilans annuels palmarèsistiques. Je ne suis pas le seul à le penser, car mon amie et poète, Véronique Cyr, s’insurgeait récemment de cet état de fait sur sa page Facebook.

Quelques commentaires plus tard, nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait rédiger nous-mêmes ces notices. Première constatation, nous ne voulions pas d’un palmarès ni d’un «top (ajoutez le chiffre que vous voulez)». Véronique et moi souhaitions seulement témoigner de nos lectures appréciées de cette année, surtout celles qui n’ont pas reçu une attention médiatique (de très gros mots inappropriés pour la poésie) convenable selon nous.

Peut-être que Le Devoir, La Presse ou Voir seront inspirés par notre mouvement d’amour pour la poésie d’ici ? Nous sommes persuadés toutefois que nos choix sauront souligner le merveilleux travail des éditeurs de poésie québécoise autant que le talent de ceux qui l’écrivent.

Pourquoi ne pas offrir de la poésie aux gens que vous aimez à Noël ? C’est beaucoup mieux qu’une carte Hallmark, c’est singulier et en plus ça peut même se glisser dans un bas traditionnel blanc et rouge cloué sur le manteau de votre cheminé ou sur votre mur en gyproc !

Mais au-delà des arguments de vente nous voulions souligner à quel point la poésie d’ici se porte bien et comment il nous fait plaisir de la faire connaître.

Chaque livre est associé à un lien qui vous enverra sur la page du site d'achat en lignes des LIBRAIRES, (Le portail des librairies indépendantes du Québec) qui vous donnera la possibilité de le commander directement et d'en faire profiter un libraire indépendant près de chez vous.

Voilà le résultat.


Jonathan Charrette nous offre ici un premier recueil d’une sombre beauté où les mots sont justement des armes blanches, silex et poignards, et se font les complices d’une guerre intime à livrer.
« Le crime est une gymnastique
de la langue.
(…)
je remplis ma bouche de cailloux
âgés de quelques préhistoires
et réclame le baptême du vandalisme. »

L’influence de Denis Vanier parcourt de façon belle et assumée un style d’une solide originalité. Voix poétique à suivre.

Denise Desautels, Sans toi je n’aurais pas regardé si haut, Tableaux d’un parc.
Grand livre de poèmes en prose sur la mémoire et les lieux qui hantent, le parc Lafontaine fait ici figure de pivot central autour duquel se déploie une langue habitée, chargée de jouissance et de nostalgie. Cinquantième titre en carrière de cette grande dame de nos lettres plusieurs fois lauréate de prix prestigieux au Québec et à l’étranger. Un livre bouleversant, accompagné de magnifiques photographies noir et blanc de l’auteure.

« Je me souviens que chaque matin de l’année qui a suivi sa mort, chaque recoin du parc était hanté par le fantôme de Loulou. »


Après les puissants dixhuitjuilletdeuxmillequatre et Le nouveau temps du verbe être, Roger des Roches, lauréat 2013 du prix Athanase-David, nous revient avec La cathédrale de tout, là où :
« La langue qui danse avec la langue.
Danse et fait le blanc et blanc du pas à pas.
Il faut dévorer les émeutes, et j’imprime des chefs.(…) Le bon abîme, le bloc de brûle. » Chez Des Roches, la poésie renoue avec la voyance telle que l’entendait Rimbaud et sa violence est un feu qui éclaire dans le noir.


Dix ans après la parution de Le siège propre chez Triptyque, Caroline Louisseize effectue un retour en poésie chez Poètes de brousse avec un très beau recueil qui joue sur les registres du souffle et de l’attente du pire; le terme Aura renvoyant à un phénomène neurologique précédant la crise épileptique. Tout en dépouillement et en métaphores inquiétantes.

« Clefs du vertige
les rideaux coulent
dans la rivière des petits feux
un jour à la fois
une chandelle pour chaque soupir. »



Après avoir convoqué Hölderlin, Rimbaud et Supervielle dans Les Bras de Bernstein (Les herbes rouges, 2011), Philippe Drouin nous fait plonger, cette fois, dans un univers éclaté où la Nuit de cristal, pogrom antijuif de 1938, tient lieu de fil d’Ariane entre les blocs de poèmes en prose habilement construits dans une ambiance traversée par la grâce et l’effroi :

« Je sonde le crépuscule. Les couleurs jallissent d’une perversion à l’autre. Je connais la gloire à rencontrer les joies qui sont mes ennemies. »


Premier recueil de ce jeune auteur né à Acton Vale, Nœud coulant est un des livres de poésie les plus percutants et prometteurs parus en 2013. La langue est fluide, forte, les poèmes sont portés par une voix qui cherche et trouve toujours son équilibre malgré le nœud coulant d’une perte de contrôle annoncée. On pense à Saint-Denys-Garneau, on entend le souffle de Tristan Corbières, la parole qui s’y déploie est essentielle. Un grand auteur à voir évoluer.

« Une poignée de braise
quelques cailloux rouges
autour de quoi s’affoler :
même le pire des enfers
est habitable. »


Huitième livre de poésie de Thierry Dimanche, Théologie hebdo fait le lien entre ses Encycliques désaxées et ses Autoportraits-robots. Poète baroque à la langue foisonnante multipliant les paradoxes et les alogismes, qui décortique les diverses figures du père, ici même de Djeu, un «Dieu jeu», un «Dieu je», d’où l’idée de la «théologie», Dimanche nous offre ici une de ses œuvres les plus marquantes. Les poèmes du livre sont distribués suivant la structure éditoriale d’un hebdo, d’un journal, soit dans des rubriques de sports, des éditoriaux, des sections voyage, courrier du cœur ou art. Œuvre totale, tous les sujets y sont abordés.  Excroissance théologique du «je», explorations des états d’âmes amoureux, expositions de toutes les fictions du sujet, des avatars de nos moi redondants, Théologie hebdo est une espèce de traité ludique et brillant sur tout ce qui contribue à solidifier la fiction de notre moi.



« Maître de rien, libre avec tout, quand le revirement tendu fait loi de l’échouage retenti dans son contraire et que le vœu ranime sans le vouloir ses fléchissements ancestraux, à rebours d’une descente nous détruisant de l’avant. »

Maude Veilleux a publié plusieurs fanzines et a participé à plusieurs lectures publiques mais nous offre ici son premier recueil officiel. Le titre de son livre, qui rappelle une chanson de Lisa Leblanc, a le mérite de sa franchise vulgaire. Dans les poèmes d’amour déçu, de dépendance amoureuse désolante de Veilleux, rien de trop, une ligne parfois, une seule, et l’émotion naît, nous percute. Entre le minimalisme de Patrice Desbiens et le joual sauvage de Mononc’ Serge, cette poésie réussit à fixer des instants de dépits amoureux avec un maximum d’efficacité littéraire. Excellent premier livre.

« J’ai envie de te toucher
Plus longtemps
Que le temps que
Tu viennes »


Poète québécois majeur, au style singulier, Desgent a publié de nombreux livres mais c’est avec la sortie de Vingtièmes siècles, fresque historique démesurée, chant apocalyptique grandiose à la langue rythmée et graveleuse, qu’il acquiert sa renommée. Depuis Portraits de famille, le poète s’intéresse à ses morts. Dans Ne calme pas les dragons, il nous offre d’autres superbes poèmes qui atteignent le «mal-dit», et traitent tout aussi bien de ses morts que de ses amours mortes. Poète à entendre en lecture publique. Grand performeur.

«Toi moi un corps non :
je dis un mystère est-ce que la langue est au début/
le cœur s’inverse ça saute ça manque
ça fait de la poitrine maigre»

Martine Audet, un peu à la manière de Sarraute, s’intéresse aux tropismes, à l’infra-ordinaire, au quotidien minuscule de l’amour et des émotions. Sa parole distincte, reconnaissable entre toutes, son unité de ton, cette patience esthétique qu’elle déploie en faisant mûrir «les nerfs d’une phrase» en font une voix incontournable de nos lettres contemporaines. Dans son dernier recueil, on retrouve l’Audet de ses grands livres comme Les tables et Les manivelles. Excellente porte d’entrée pour ceux qui ne la connaissent pas encore. En prime, une belle œuvre photographique de la poète en couverture.

« J’enveloppe les jours
Que je ne comprends pas
Dans du papier journal»

Annie Lafleur poursuit une œuvre exigeante. Ses poèmes sont des concrétions cristallisées d’allusions à des expériences corporelles, physiques, des références cryptées, des précipités d’émotions réduits dans la cornue de son imaginaire. Son recueil que je préfère : Handkerchief. Dans son dernier opus, elle nous propose des poèmes minimalistes, à la limite sériels. Peu de mots, des bouts de fils sur la page, mais sculptés. Le titre, Rosebud, évoque le secret du film d’Orson Wells (Citizen Kane), mais c’est aussi une façon de dire que si l’on fait bouillir la beauté, il en reste toujours des matières coupantes, des éclats de verre, des tortures d’allégresse. Lafleur connaît mieux que quiconque les insatiables douleurs de l’extase artistique ou amoureuse.

«doberman pitbull rottweiler/ assener la beauté »








jeudi 5 décembre 2013

La lenteur est une vieille pièce de musée dépolie


La lenteur est une vieille pièce de musée dépolie. On l’a rangée depuis longtemps. Elle n’excite plus personne. Parfois elle réapparait dans les livres, dans les films, à la campagne si on est chanceux, dans le théâtre No, le Kabuki ou la performance d’un artiste contemporain. Mais la plupart du temps, elle ramasse la poussière.

J’ai toujours eu l’impression que la lenteur était le temps le plus animal qui soit. Un appendice de notre passé, greffé à notre peau métaphysique. La lenteur nous permet de saisir les choses dans leur ensemble, leur globalité. Elle s’insinue. Tout la traverse, sa matière est absorbante, poreuse. La lenteur n’est pas pointue, mais étale.

S’éduquer c’est apprivoiser la lenteur, peaufiner nos projets, laisser reposer nos idées. Mais la civilisation industrielle, puis son bébé, la société de l’information numérique, ne nous ont légué qu’une seule leçon : toujours plus vite. Pour faire preuve de politesse affectée envers les autres on leur dit souvent, «ne vous en faites pas, prenez votre temps», quand tout le monde sait bien qu’il y a un délai tacite associé à toute tâche. On tente de nous rassurer, mais on comprend bien qu’on nous impose en douce une minuterie.

Je suis, malgré moi, un engrenage de cette incroyable machine à empressement qu’est devenue notre vie. J’ai appris à écrire vite, penser vite, prendre des décisions rapidement, tomber en amour rapidement, larguer quelqu’un ou me faire larguer promptement, suivre et lire vite les articles discutés du jour sur les réseaux sociaux, donner mon point de vue à chaud, pleurer virtuellement à une heure vingt en témoignant de ma douleur amoureuse en quelques lignes sur Facebook, être consolé à une heure vingt-deux par deux amis dans ma boîte à message du même réseau et par texto, par une autre personne.

Le marché de la pensée et des amours file à une vitesse incommensurable. Je m’impatiente pour des riens, un contretemps dans le moteur des jours devient un problème de fluidité grave, je panique devant une personne qui s’exprime lentement, pourtant je suis un travailleur autonome qui a tout son temps. J’ai attrapé la maladie de nos sociétés contemporaines. J’ai désappris la lenteur.

Pourtant, la nuit, blotti seul sous mes couvertures, deux oreillers en guise d’appui-tête, une chatte qui ronronne à mes côtés, je médite sur le son du monde. Je me réfugie dans le centre du vide qui nous gouverne tous et je tente de me détacher de toutes ces frénésies. Ces moments de lenteur peuvent durer dix minutes, trente minutes, une heure. Je ne tiens pas de compte ni de statistique. Justement. Je me libère de la folie de notre époque, de mes désirs insatiables, de mes frustrations mornes, de mes ambitions caquetantes. Méditation bouddhiste ? Rien que de l’intuitif, un instant qui me permet d’embrasser l’entièreté du monde sans le juger, l’insignifiance de mon existence sans en être détruit.

Parfois j’ajoute une trame sonore à l’exercice. Aujourd’hui, Les Callas de Pierre Lapointe. Mini-album dépouillé, guitare/voix, piano/voix, avec cigales en prime, aux textes sur l'amour rêche et la douleur d'être seul. Je ne deviens alors qu’un réceptacle à musique, qu’un vecteur de sons. J’écoute le monde, son bruit blanc perpétuel, le clignotement de nos têtes.



Je peux aussi me laisser porter par des films tels que Nebraska, d’Alexander Payne; Le cheval de Turin de Béla Tarr ou Le démantèlement de Sébastien Pilote qui mettent tous en scène la lenteur, malgré parfois les constats alarmistes qui accompagnent leurs propos. Ces œuvres cinématographiques viennent pourtant lui redonner ses lettres de noblesse, nous reconnecter avec des émotions simples, nous montrer ce que l’on a perdu à s’agiter et à s’ébattre quotidiennement.






Cette lenteur besogneuse, cette lenteur qui accueille les longs cycles, cette lenteur obsessionnelle que l’on associe aujourd’hui à un handicap resteront bel et bien pour moi, toujours, des vertus courageuses.




jeudi 28 novembre 2013

Comment rendre hommage à tous les écrivains québécois sans avoir l’air phony


Je suis écrivain, mais j’aime les écrivains.
Ce n’est pas une évidence, ni  une obligation. 
Ce n’est pas automatique, comme aimer sa mère. Ce n’est pas tout le monde qui aime les êtres humains. 

Malgré tous mes défauts et mes mesquineries, je persiste à aimer tous ces créateurs de livre d’un amour respectueux et notable, même si parfois j’en parle en mal, je médis de certains. Je ne dis pas que je suis en amour avec tous et qu’il n’y a pas de compétition entre nous. On se surveille, on pleure en cachette, on grince des dents et on fait parfois semblant d’être heureux du succès des autres pour ne pas avoir l’air con ou jaloux. Mais en général ce ne sont que des émotions qui passent et à la toute fin, ce qui reste, c’est l’entier respect que j’ai pour les gens qui ont publié un livre.

Sauvages, mesquins, grandiloquents, naïfs, outragés, frustrés, loquaces, silencieux, ordinaires, militants, engagés, précieux, surdoués, calmes, nerveux, assimilés, pro-souche, charteux pas charteux, prolixes, laconiques, gentils, méchants, généreux, chiches, narcissiques, empathiques, il n’y a pas grand-chose qui sépare les écrivains des autres vivants. Sinon qu’un jour ou l’autre on a accepté un de leur manuscrit  dans une maison d’édition professionnelle.

Chaque année des masses de papier s’empilent sur le bureau des chroniqueurs, sur les étagères des librairies. Des miettes seront retenues dans les livres primés, choisis dans la liste des prix littéraires, peu nombreux seront les livres dont nous aurons parlé, qui seront recensés, qui obtiendront même un papier, une critique. Personne ne publie un livre pour l’expédier directement au recyclage. Tout le monde a quelque chose à raconter, une histoire, un avis à donner, ces êtres humains sensibles et qui savent écrire font partie d’une frange congrue de la société, brûlante vérité depuis que nous connaissons le taux de littéracie des Québécois, la moitié d’entre eux étant des analphabètes fonctionnels.

Je vous parle de tout ça, car le Salon du livre de Montréal est terminé et que j’ai eu une pensée compatissante et amoureuse pour ces centaines d’auteurs qui ont attendu patiemment que quelqu’un se pointe à leur table de signature. Dans cette extrême solitude qui quémande l’attention, dans ce dénuement cruel, posture bénévole, qui ne fait qu’offrir un peu de nous-mêmes en mode pages. Depuis que je fréquente les salons du livre tout aussi bien comme écrivain que comme badaud, j’ai toujours ressenti cette gêne, ce malaise persistant devant les écrivains esseulés, flanqués d’une éditrice généreuse ou d’un ami supporteur. Combien ai-je croisé de grands écrivains laissés à eux-mêmes, d’inconnus heureux d’avoir fait publier leur premier livre avide de signer leur premier exemplaire, de pédants brisés, d’aimables personnes humiliées, bref le Salon du livre est pour la plupart des écrivains une expérience du vide assez drastique.

Je ne parle pas non plus des lectures publiques sans spectateurs ni des tables rondes devant trois mesdames perdues et un monsieur qui dort. Il y a une espèce de malaise congénital qui vient avec le Salon du livre, un espèce de mal que tous les écrivains prennent en patience parce que c’est le livre que nous y célébrons, la matière abstraite du livre, au-delà des écrivains, qui est mise de l’avant lors de ce type de salon.

Justement, il serait temps de lever notre chapeau à tous les membres de la fratrie des écrivains. Il faudrait prendre le temps de remercier un à un toutes ces personnes, je voudrais célébrer tous les créateurs de livres, tous les chouchous des critiques et ceux qui ne seront jamais recensés, les à compte d’auteurs comme ceux publiés chez Gallimard, les mauvais auteurs comme les classiques de demain, les enfoirés comme les enthousiastes, les écrivains qui vendent comme ceux qui ne vendront jamais, les heureux comme les mélancoliques, ils ont tout mon respect parce que tous croient encore au livre comme mode de communication et vénèrent le support papier tout aussi bien que la langue française.

Nous faisons tous partie de la même fratrie. Nous sommes tous frères et sœurs du livre, amoureux de la langue française.

Cette année, au Québec, on a publié soixante-six premiers romans et environ sept cent trente romans, rééditions comprises et toutes langues confondues. La littérature et le livre intéressent encore les gens, suscitent encore des vocations, veut encore dire quelque chose pour tous ceux qui ont pris le temps d’écrire un roman, un livre de poésie, un livre pour enfants, des historiettes, un livre pratique, du roman policier, fantastique, d’horreur, de science-fiction et les mille genres bâtards qui voguent entre toutes ces dénominations. Le livre est bel et bien présent dans nos vies, il est même en recrudescence.

Je mélange un peu les choses, vous me direz. Vous avez raison. C’est qu’ici je n’ai pas voulu faire de distinction entre la littérature avec un grand «L» et toutes les autres formes phénoménales du livre. En soi, toute personne qui a un projet de livre ne peut pas ne pas aimer la langue française. C’est cette portion de la fratrie qui fait de nous une famille élargie, disparate et tendue, mais une famille.

Si nous entendons tous ces gens comme faisant partie de la grande famille du livre, nous pourrions les respecter comme tel, leur attribuer un cachet pour leur présence lors des séances de signature, et un cachet, également, lorsque ceux-ci vont lire un extrait de leur œuvre.

Je lance l’idée, comme ça, après avoir constaté les multiples irritations causées par ce manque de considération de base, signe de bienvenue naturel, pour les écrivains, au Salon du livre.

Pour remédier à cela, il suffirait de payer les membres de la fratrie qui se font un plaisir de venir signer leur livre. En somme cela signifierait: si vous faites partie de la grande fratrie du livre, vous valez quelque chose. En célébrant le livre abstrait au Salon du livre, nous vous l’affirmons en vous payant si vous êtes en mesure de venir ajouter à l’animation du lieu en offrant votre temps pour signer vos livres. Nous vous célébrons et vous respectons en signalant aussi que votre présence comme lecteur mérite rémunération.

Certes, certains distributeurs donnent des rabais aux auteurs. Je les en remercie. Mais il faudrait que ce soit systématique. Vous êtes un auteur, nous sommes contents que vous soyez là, on vous donne un rabais.

Ça ne réglera rien des files inexistantes ni des lectures publiques à un spectateur, mais cette espèce de respect qui vient avec un cachet offert pourrait rendre l’exercice plus agréable pour la plupart des membres de la fratrie.





samedi 16 novembre 2013

Les spaghettis sauce bolognaise et tous les liquides corporels : sur La vie d’Adèle


J’ai une forte tentation d’écrire ici, en début de papier, une grande vérité sur le désir.
Mais lorsqu’on parle du désir, on dit tout et rien à la fois. La volonté de Schopenhauer, le désir des psychanalystes, le désir pornographique, celui de posséder l’autre, celui que les sexologues promeuvent, le désir du coin de la rue, et tutti frutti, en fait c’est bien commode et peu dérangeant. Je cède pourtant à la tentation, car tel est bel et bien la farce du désir, et je lance à la volée une autre de ces définitions bateaux le décrivant : le désir est ce qui se mange comme des spaghettis sauce bolognaise.
Je suis allé voir La vie d’Adèle connaissant les controverses autour de Kechiche et de la direction de ses actrices. Mais des réalisateurs maniaques, exigeants et manipulateurs, il y en a des tonnes. Ce qui m’intéresse ce sont les réalisateurs talentueux. Il y en a moins.
Vénus noire, son précédent film, m’avait déstabilisé et à la fois cruellement informé sur la vie tragique de cette Vénus dite Hottentot, bête foraine et curiosité anthropologique, exhibée lors de spectacles dégradants par des Européens peu scrupuleux, voire criminels. J’étais tout simplement intrigué par son nouveau film primé à Cannes. Je voulais voir de mes yeux cet objet cinématographique controversé et sulfureux.  Enfin, selon ce que la rumeur avait colporté.
Que capte-t-on en visionnant La vie d’Adèle ? Quelle est l’image qui nous en reste ? D’abord des liquides corporels, de la bave, de la salive, des larmes, puis ensuite des spaghettis sauce bolognaise.
Le film, librement adapté de la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, publiée chez Glénat en 2010, raconte l’histoire de deux femmes, l’une plus jeune, aux portes de l’adolescence, Adèle et l’autre dans la vingtaine, Emma, qui vivent un coup de foudre amoureux.
En soi, ce film n’a pas été célébré pour ses grandes qualités esthétiques ni non plus pour sa mise en scène somme toute, assez sobre. Ce qui a fasciné ou outré ou indisposé les gens sont les scènes d’amour entre les deux femmes, d’une longueur et d’une violence pornographique étonnante, laissant voir une fougue sexuelle presque désespérée, à la limite de la caricature.
Ces scènes, brutalement sexuelles entre Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, nous montrent deux actrices qui nous livrent des performances limites, déploient leurs corps et leurs émotions violentes sur la table de dissection du réalisateur, être humains aussi offerts que des fauves dociles dans un amphithéâtre médical.
Sacrifice, rituel mystique sur l’autel du désir, de l’amour lesbien ? Le personnage de galeriste cultivé qui cite le mythe de Tirésias, nous explique que cette figure, qui passe d’un sexe à l’autre, ayant testé les deux corporéités, en aurait constaté que la volupté, le plaisir charnel, appartiendrait, selon une proportion évaluée de neuf parties sur dix, aux femmes.
En fait, pour être franc, ce film ne m’a pas plu ni déplu. Je suis sorti de la salle à la fois déçu et estomaqué, un peu comme le spectateur d’une installation cinématographique qui met en scène les rouages de la mécanique du désir, avec toute la crudité émotive qui s’impose.
Comme Adèle, le spectateur est jeté du film, laissé à lui-même et à ses angoisses sexuelles, ses désirs inassouvis et ses peines amoureuses violentes à la fin du déroulement de la bobine.
Festival du gros plan de bouches, de visages, le film ressemble à une inspection impudique de la bulle interindividuelle des deux actrices exceptionnellement justes.
Car il faut le répéter sur tous les toits, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos repoussent les limites de l’interprétation de l’amour lesbien, de l’amour charnel et de la peine amoureuse tout court. Exagération ou caricature en sus. Adèle, dans la scène finale de la rupture, atteint à une véracité troublante qui a fait taire toute la salle.
Les larmes d’Adèle sont à elles seules un personnage du film. Les yeux perçants d’Emma de même.
Les spaghettis sauce bolognaise également. La présence de ce plat ponctue le film à trois reprises, d’abord ingurgité par la bouche innocente d’Adèle, ensuite célébré par Emma dans une scène où elle complimente le père d’Adèle pour sa nourriture, scène qui vient clore une longue suite de mensonges qui rendent acceptable la présence récurrente de cette femme dans la vie d’Adèle, question de ne pas froisser sa famille conservatrice, puis finalement les spaghettis sont servis à tous les amis d’Emma, artistes, galeristes, esthètes, dans une ultime orgie de dégustation de pâtes, filaments rouges, filaments blancs rythmant les dialogues entrecoupés de scènes de déglutition.
Salive collante de tablette de chocolat cachée sous son lit, salive de spaghetti sauce à la viande,  salive des bouches embrassées, salive sur vulve léchée, Adèle est un personnage qui fuit, qui coule littéralement, qui s’abîme en quelque sorte dans son désir pour cette Emma mystérieuse qui entre dans sa vie comme une révélation extatique.
Qu’en est-il maintenant des rapports professionnels qu’ontréellement entretenus Kechiche et Seydoux, Kechiche et ses techniciens ? Y a-t-il vraiment lieu de croire qu’il y ait eu exploitation, torture mentale ou formidable irrespect ? Nous ne le saurons jamais tout à fait.
Hormis ces controverses, que retient-on de ce film ? Deux actrices qui jouent le désir avec un abandon inégalé, rare au cinéma, des liquides corporels et des spaghettis sauce bolognaise.

jeudi 7 novembre 2013

Nouvelle adresse pour mon blogue «Techniciencoiffeur»

Je change de peau.
Mon blogue change d'adresse.
Il y a des signes qu'il faut interpréter dans la vie, sans devenir superstitieux ni numérologue. Enfin, des moments où tout est en place pour passer à autre chose. Exit les astres et les planètes, il s'agit tout au plus d'une conjecture favorable, pour une personne comme moi qui n'aime pas macérer trop longtemps dans le bouillon tiède. Ah, je m'apprêtais à lancer une de mes légendaires phrases qui commence par «la vie est...». Retenu ici. En convalescence le professeur de morale. Allez, pas de justification théorique. Ce n'est qu'un changement de véhicule pour continuer à aller nulle part avec vous. Car je me targue de ce «vous». Bien sûr que l'on écrit pas pour les marmottes du parc de La Vérendrye. Qu'un éditeur compassé n'ait pas voulu retenir ma suggestion de publier les meilleurs moments de mon blogue publié depuis maintenant trois ans m'a déçu. J'emploierais même le mot «offusqué» si celui-ci ne dénoterait pas trop une frustration puérile et prétentieuse. Enfin, quand on a la certitude que l'on tient quelque chose de valable, qui mérite la circulation papier, on persévère dans nos démarches. Loin de moi l'idée de devenir un Éric Chevillard qui publie systématiquement tout son blogue par tranche. Malgré tout le respect et l'admiration que j'ai pour cet écrivain inventif et sardonique, prince de l'absurde et du style, j'en exige beaucoup moins. Seulement la publication d'un florilège de mes meilleurs coups, couvrant les trois premières années de mon blogue. Une plaquette de 60, 100 ou tout au plus 150 pages. Un simple passeport papier pour les bibliothèques. Je lance l'idée ici. Si un éditeur compétent et curieux est intéressé, voici l'ancienne adresse de mon blogue: techniciencoiffeur.blogvie.com/‎. Je possède bien entendu une copie Word de tous les textes publiés depuis trois ans sur ce site.

De toute manière, quoi qu'il arrive, l'aventure de Technicien coiffeur continuera ici. Parce qu'écrire est un sport mental qui masse mes facultés pendouillantes et me garde en relative forme. Ensuite parce que les mots sont bien ma mère véritable. Ne vous inquiétez pas, je ne tenterai pas de justifier cette dernière phrase en écrivant un pavé/bible à la Yann Moix pour me réinventer écrivain en 1142 pages. Parler de ma «naissance» d'auteur. Enfin, pas tout de suite. On cache toujours un projet prétentieux dans ses tiroirs. Ce serait bête de cacher notre narcissisme convenu en-dessous du tapis. Cet élément joue toujours dans la balance. Mais la bonne tenu prescrit qu'il ne faut jamais plastronner outre mesure sans avoir à présenter nous aussi notre brique qui ravira les lecteurs les plus exigeants et fera jurer nos amis écrivains, même les placides. Je connais trop ma race.

Enfin, sans cette soupape scripturaire pour mes élucubrations, j'aurais l'impression de tourner à vide. Le paradoxe du vide, c'est qu'il faut en parler longtemps et diversement pour s'en distancer. Je prends donc pour prétexte un bug qui persiste à l'adresse de mon ancien lieu d'hébergement et d'une réponse plate d'un éditeur pour migrer.

Voilà.
Bienvenue à ma nouvelle adresse au nom ancien.