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mardi 20 janvier 2015

Lettre aux auteurs du collectif FIGURES DE COMPASSION publié chez Leméac




Lettre aux auteurs du collectif FIGURES DE COMPASSION publié chez LEMÉAC

Ma chronique Lettre aux artisans de la beauté du monde pour la suite du monde
 


Chers auteurs du collectif FIGURES DE COMPASSION,



Parler de compassion n’est pas sexy. Mais vous avez réussi à traiter ce sujet difficile avec intelligence, en restant clair et accessible. Tout le monde s’entend pour dire que la compassion est nécessaire et que sans la générosité et l’éveil d’esprit qu’elle implique, la vie ne serait pas tolérable. Mais personne ne comprend très bien ce que c’est que cette émotion, cet élan du cœur. D’où l’aspect difficile de la question.



Dans votre livre collectif, chers auteurs, vous abordez le sujet sous plusieurs angles. Vous parlez entre autres de notre culpabilité fasse aux plus démunis, ceux qui quêtent dans le métro, les squeegees qui nous imposent leur look inquiétant et les pauvres en général. On sent parfois chez vous une posture légèrement bourgeoise, celle en général des personnes qui fonctionnent dans la société, en ont accepté les valeurs et les préjugés, ont compris comment tirer leur épingle du jeu. On ressent même une certaine peur, à l’occasion, du monde parallèle que constituent la pauvreté, les pauvres et leur mode de vie. Mais par chance, vous ne restez pas dans cette impasse, ce réservoir à clichés. Vos analyses et vos réflexions littéraires vont plus loin et c’est bien pour cette raison que je suis en train de vous écrire une lettre.






La compassion est un mystère et c’est bien ce que vous dites à travers vos textes. Simone Weil l’affirmait en disant que «la sympathie du fort pour le faible était contre nature». Certes, on peut s’arrêter là, imposer tout de suite la compassion aux humains, grâce à des lois,  car elle est essentielle, et éviter de se poser d’autres questions.


Mais ce serait simpliste et ridicule. La compassion nous rend complexe, n’essayons pas d’éluder le problème en criant : «J’ai déjà liké !»



Votre principal champ d’intérêt est la littérature, votre second, le cinéma. Vous conviez plusieurs auteurs dont Georges Bernanos, grand écrivain et humaniste chrétien, pamphlétaire brillant qui a écrit : «le monde sera sauvé par les Pauvres». Je le répète parce que c’est un peu hallucinant comme citation : «Le monde sera sauvé par les Pauvres», oui.  Sa formule provocante voulait en fait mettre en lumière le processus de marginalisation de plusieurs êtres humains dans un monde obnubilé par la technique et l’efficacité. Bernanos croyait que tous ces mésadaptés, tous ces pauvres, nous enseigneraient un jour comment sortir de ce système. Car le jour où nous allons désespérément chercher une issue,  tenter de se débarrasser des inégalités sociales, Bernanos nous dit que les marginaux deviendront nos meilleurs conseillers. Les pauvres, en sommes, se posent des questions que les riches et la classe moyenne ne se posent jamais. Un autre bon point évoqué.



Vous tirez également d’autres conclusions originales sur la compassion. Et si la bonté, la compassion, l’altruisme, si l’on veut, pour résumer,  constituait le fondement même de ce qui nous relie ensemble, la base même de la vie sur terre, de l’interconnectivité des êtres humains avec leur environnement. James Lovelock le pense. Lovelock est un scientifique et environnementaliste à l’origine de la théorie de GAÏA, théorie qui consiste à percevoir  la  terre comme un organise vivant, autonome, qui autorégule son climat. Pour Lovelock, l’altruisme serait inhérent à la biosphère. Il nous donne un exemple en nous parlant d’urine. L’urine contient de l’urée, un composé fait d’azote, et l’azote est essentiel à la croissance des plantes. Les plantes auraient alors pu coévoluer avec les mammifères, augmentant ainsi en taille, ces grands végétaux aidant ensuite les mammifères à se nourrir plus facilement. 


Selon cette théorie de Gaïa, nous serions en quelque sorte naturellement bons, conçus comme des agents compassionnels et nutritionnels favorisant la croissance saine de la nature. Ce qui reviendrait à dire que nous sommes toujours en train de donner quelque chose à la nature. Notre bonté serait profondément inconsciente.



J’aime votre livre, chers auteurs, parce que vous abordez aussi la compassion en misant sur des textes littéraires ou des essais moins connus. Je vous félicite d’ailleurs pour l’intérêt que vous avez porté à certains poètes qu’on a oubliés, comme Albert Lozeau, le poète malade de l’école littéraire de Montréal, ami de Nelligan, qui a passé sa vie sur le toit de son appartement, sur la rue Drolet ou bien à Edward Stachura, poète polonais dont a parlé Bernard Emond dans son très beau film TOUT CE QUE TU POSSÈDES, poète qui a tout donné ce qu’il avait, son argent, ses biens, dans une frénésie de don, avant de se jeter sous les rails d’un train. Ce sont des poètes aux destins fascinants et tragiques. Je m’en voudrais d’oublier aussi le très beau texte de Nathalie Watteyne sur Patrice Desbiens, le grand poète démuni et écorché de Sudbury.





Il m’est impossible de traiter dans le cadre de ma chronique de tous les textes de FIGURES DE COMPASSION. Mais je dois souligner ici le travail splendide que cet essai universitaire a accompli, soit rester abordable, intelligent et simple. Je le recommande fortement à tous les amateurs de cinéma et de littérature qui cherchent à comprendre la compassion, cette émotion mystérieuse qui nous guide tous, pour mieux vivre avec les autres.