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mercredi 5 novembre 2014

Lettre à Malala Yousafzaï, prix Nobel de la paix 2014.

Dans le cadre de ma chronique LETTRE AUX ARTISANS DE LA BEAUTÉ DU MONDE POUR LA SUITE DU MONDE à l'émission de radio/télé Catherine et Laurent, du 4 novembre, voici le texte de la lettre que j'y ai lue. 


Chère Malala Yousafzai,



La peur c’est ce qui tient les gens assis. La peur c’est ce qui transforme le monde selon les désirs haineux d’hommes aux intentions sombres. Dans le noir, plus personne n’a d’identité et la musique s’évanouit, faute de danseurs. Dans le noir, la population est hypnotisée et offre sa liberté aux loups.

Chère Malala, tu n’as que 17 ans, mais tu as connu cette noirceur. Non pas une noirceur métaphorique, une noirceur politique exprimée par des chroniqueurs chagrins et des éditorialistes inspirés. Mais une écœurante noirceur qui tache la vie jusqu’à l’anéantir. Une noirceur de honte, de réclusion et de prison sociale, sous le régime des talibans, dans ta vallée du Swat dans le nord-est du Pakistan.


Tu l’as écrit dans le merveilleux livre qui présente ton histoire et que je recommande à tous, à quel point cette vallée, annexée au Pakistan en 1947, est belle, neigeuse à ses sommets, luxuriante dans ses hauteurs, séduisante en tous ses paysages.

 



Tu as vécu ton enfance à Mingora, dans cette vallée, élevée par un père courageux et cultivé, grand démocrate, qui fondait des écoles pour les filles. Un père poète, qui n’a jamais accepté l’obscurantisme et a défendu ses droits et la démocratie, au mépris du danger.

Tu as été inspirée par la droitesse et la force d’un père qui a gardé le cap, persévéré, affronté les intégristes de tous acabits, s’est levé debout et a parlé contre le pouvoir des talibans, pendant que tout le monde tremblait sur leurs chaises, tétanisés par les campagnes de peur, la brutalité des méthodes talibanes et l’effarante injustice de la charia pour les femmes.



Toi aussi tu as pris la parole à la télévision, à la radio, en public, pour exprimer ton désaccord contre les politiques talibanes, tout en rappelant ton impérieux désir d’apprendre, l’importance primordiale de l’éducation, en général, ne serait-ce que pour vaincre l’ignorance rigide, terreau fertile aux idées brutales. Tu défendais le droit des filles à s’éduquer, tout simplement, qui semblait devenir, sous la chape des talibans, un déshonneur pour les familles qui envoyaient leurs filles à l’école.

Le 9 octobre 2012, il y a bientôt deux ans, tu as été l’objet d’un attentat, un taliban a tiré sur toi, sur ton visage affûté, ton visage d’intelligence. Il a pensé en finir avec toi. Te faire taire pour de bon. T’offrir le même sort que Bénazhir Butto, le 27 décembre 2007. Briser ta parole lumineuse en faisant exploser ta vie. 


Mais tu n’es pas morte. La peur cruelle n’aura pas réussi à atteindre ta passion, ta volonté rigoureuse. Menacée, comme toute ta famille, tu as bien entendu quitté cette région dangereuse. Ton père a pris la décision de déménager à Birmingham, en Angleterre, faire le deuil de ton pays tout en promettant à tous qu’un jour tu y retourneras. Tu as fui avec toute ta famille la radicalité morbide pour t’accrocher à la beauté de la vie, la puissance de l’espoir et l’ardeur de tes convictions.

Cette année, le grand jury d’Oslo t’a décerné le prix Nobel de la paix.



Tu le mérites amplement, ton père aussi, indirectement. Tu as dit : «sans éducation, la paix est impossible». Et tu as profondément raison. Eduquer les gens, c’est faire briller en eux ce qui est possible, c’est inventer de la dignité là où régnait l’indifférence, c’est tirer la beauté du monde vers le haut, car apprendre, c’est marcher debout.



 Chère Malala Yousafzaï, tu as obtenu un second prix prestigieux, ces derniers jours, le prix des enfants du monde, décerné à Stockholm, dimanche dernier. Tu as décidé de remettre la totalité de la bourse venant avec ce prix, soit 50000 dollars, pour la reconstruction d’une école de l’ONU, à Gaza, détruite durant le dernier conflit avec Israël.
De jeunes Palestiniens te remercieront et je te remercie également.

Car survivre à l’impossible ne devrait jamais être une condition pour faire respecter les droits de tous à l’éducation et défendre la simple beauté d’apprendre.


Grâce à ton livre, à toi, je connais déjà mieux l’histoire du Pakistan et je vois de la beauté là où les médias occidentaux nous présentaient exclusivement de la noirceur.


Grâce à toi, plusieurs filles de la vallée du Swat et de tout le Pakistan, vont voir autre chose que des fusils et peut-être retrouveront-elles le goût, comme toi, de faire des bonshommes de neige, à Mingora, l’hiver.