Dans
le cadre de ma chronique LETTRE AUX ARTISANS DE LA BEAUTÉ DU MONDE POUR
LA SUITE DU MONDE à l'émission de radio/télé Catherine et Laurent, du 4 novembre, voici le texte de la lettre que j'y ai lue.
Chère
Malala Yousafzai,
La peur
c’est ce qui tient les gens assis. La peur c’est ce qui transforme le monde
selon les désirs haineux d’hommes aux intentions sombres. Dans le noir, plus personne
n’a d’identité et la musique s’évanouit, faute de danseurs. Dans le noir, la
population est hypnotisée et offre sa liberté aux loups.
Chère
Malala, tu n’as que 17 ans, mais tu as connu cette noirceur. Non pas une
noirceur métaphorique, une noirceur politique exprimée par des chroniqueurs
chagrins et des éditorialistes inspirés. Mais une écœurante noirceur qui tache
la vie jusqu’à l’anéantir. Une noirceur de honte, de réclusion et de prison
sociale, sous le régime des talibans, dans ta vallée du Swat dans le nord-est
du Pakistan.
Tu l’as
écrit dans le merveilleux livre qui présente ton histoire et que je recommande
à tous, à quel point cette vallée, annexée au Pakistan en 1947, est belle, neigeuse
à ses sommets, luxuriante dans ses hauteurs, séduisante en tous ses paysages.
Tu as
vécu ton enfance à Mingora, dans cette vallée, élevée par un père courageux et
cultivé, grand démocrate, qui fondait des écoles pour les filles. Un père
poète, qui n’a jamais accepté l’obscurantisme et a défendu ses droits et la
démocratie, au mépris du danger.
Tu as
été inspirée par la droitesse et la force d’un père qui a gardé le cap,
persévéré, affronté les intégristes de tous acabits, s’est levé debout et a
parlé contre le pouvoir des talibans, pendant que tout le monde tremblait sur
leurs chaises, tétanisés par les campagnes de peur, la brutalité des méthodes
talibanes et l’effarante injustice de la charia pour les femmes.
Toi
aussi tu as pris la parole à la télévision, à la radio, en public, pour
exprimer ton désaccord contre les politiques talibanes, tout en rappelant ton
impérieux désir d’apprendre, l’importance primordiale de l’éducation, en
général, ne serait-ce que pour vaincre l’ignorance rigide, terreau fertile aux
idées brutales. Tu défendais le droit des filles à s’éduquer, tout simplement,
qui semblait devenir, sous la chape des talibans, un déshonneur pour les
familles qui envoyaient leurs filles à l’école.
Le 9
octobre 2012, il y a bientôt deux ans, tu as été l’objet d’un attentat, un
taliban a tiré sur toi, sur ton visage affûté, ton visage d’intelligence. Il a
pensé en finir avec toi. Te faire taire pour de bon. T’offrir le même sort que
Bénazhir Butto, le 27 décembre 2007. Briser ta parole lumineuse en faisant
exploser ta vie.
Mais tu
n’es pas morte. La peur cruelle n’aura pas réussi à atteindre ta passion, ta
volonté rigoureuse. Menacée, comme toute ta famille, tu as bien entendu quitté
cette région dangereuse. Ton père a pris la décision de déménager à Birmingham,
en Angleterre, faire le deuil de ton pays tout en promettant à tous qu’un jour
tu y retourneras. Tu as fui avec toute ta famille la radicalité morbide pour
t’accrocher à la beauté de la vie, la puissance de l’espoir et l’ardeur de tes
convictions.
Cette
année, le grand jury d’Oslo t’a décerné le prix Nobel de la paix.
Tu le
mérites amplement, ton père aussi, indirectement. Tu as dit : «sans éducation,
la paix est impossible». Et tu as profondément raison. Eduquer les gens, c’est
faire briller en eux ce qui est possible, c’est inventer de la dignité là où
régnait l’indifférence, c’est tirer la beauté du monde vers le haut, car
apprendre, c’est marcher debout.
Chère
Malala Yousafzaï, tu as obtenu un second prix prestigieux, ces derniers jours,
le prix des enfants du monde, décerné à Stockholm, dimanche dernier. Tu as
décidé de remettre la totalité de la bourse venant avec ce prix, soit 50000
dollars, pour la reconstruction d’une école de l’ONU, à Gaza, détruite durant
le dernier conflit avec Israël.
De
jeunes Palestiniens te remercieront et je te remercie également.
Car
survivre à l’impossible ne devrait jamais être une condition pour faire
respecter les droits de tous à l’éducation et défendre la simple beauté
d’apprendre.
Grâce à
ton livre, à toi, je connais déjà mieux l’histoire du Pakistan et je vois de la
beauté là où les médias occidentaux nous présentaient exclusivement de la
noirceur.
Grâce à toi, plusieurs filles de la vallée du
Swat et de tout le Pakistan, vont voir autre chose que des fusils et peut-être
retrouveront-elles le goût, comme toi, de faire des bonshommes de neige, à
Mingora, l’hiver.
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