Lettre aux auteurs du collectif FIGURES DE COMPASSION publié chez LEMÉAC
Ma chronique Lettre aux artisans de la beauté du monde pour la suite du monde |
Chers
auteurs du collectif FIGURES DE COMPASSION,
Parler de
compassion n’est pas sexy. Mais vous avez réussi à traiter ce sujet difficile
avec intelligence, en restant clair et accessible. Tout le monde s’entend pour
dire que la compassion est nécessaire et que sans la générosité et l’éveil
d’esprit qu’elle implique, la vie ne serait pas tolérable. Mais personne ne
comprend très bien ce que c’est que cette émotion, cet élan du cœur. D’où
l’aspect difficile de la question.
Dans votre
livre collectif, chers auteurs, vous abordez le sujet sous plusieurs angles.
Vous parlez entre autres de notre culpabilité fasse aux plus démunis, ceux qui
quêtent dans le métro, les squeegees qui nous imposent leur look inquiétant et
les pauvres en général. On sent parfois chez vous une posture légèrement bourgeoise,
celle en général des personnes qui fonctionnent dans la société, en ont accepté
les valeurs et les préjugés, ont compris comment tirer leur épingle du jeu. On
ressent même une certaine peur, à l’occasion, du monde parallèle que
constituent la pauvreté, les pauvres et leur mode de vie. Mais par chance, vous
ne restez pas dans cette impasse, ce réservoir à clichés. Vos analyses et vos
réflexions littéraires vont plus loin et c’est bien pour cette raison que je
suis en train de vous écrire une lettre.
La compassion
est un mystère et c’est bien ce que vous dites à travers vos textes. Simone
Weil l’affirmait en disant que «la sympathie du fort pour le faible était
contre nature». Certes, on peut s’arrêter là, imposer tout de suite la
compassion aux humains, grâce à des lois, car elle est essentielle, et éviter de se poser d’autres
questions.
Mais ce serait
simpliste et ridicule. La compassion nous rend complexe, n’essayons pas d’éluder
le problème en criant : «J’ai déjà liké !»
Votre principal champ
d’intérêt est la littérature, votre second, le cinéma. Vous conviez plusieurs
auteurs dont Georges Bernanos, grand écrivain et humaniste chrétien, pamphlétaire
brillant qui a écrit : «le monde sera sauvé par les Pauvres». Je le répète
parce que c’est un peu hallucinant comme citation : «Le monde sera sauvé par
les Pauvres», oui. Sa formule
provocante voulait en fait mettre en lumière le processus de marginalisation de
plusieurs êtres humains dans un monde obnubilé par la technique et
l’efficacité. Bernanos croyait que tous ces mésadaptés, tous ces pauvres, nous
enseigneraient un jour comment sortir de ce système. Car le jour où nous allons
désespérément chercher une issue, tenter
de se débarrasser des inégalités sociales, Bernanos nous dit que les marginaux deviendront nos meilleurs conseillers. Les pauvres, en sommes, se posent des
questions que les riches et la classe moyenne ne se posent jamais. Un autre bon
point évoqué.
Vous tirez
également d’autres conclusions originales sur la compassion. Et si la bonté, la
compassion, l’altruisme, si l’on veut, pour résumer, constituait le fondement même de ce qui nous relie ensemble,
la base même de la vie sur terre, de l’interconnectivité des êtres humains avec
leur environnement. James Lovelock le pense. Lovelock est un scientifique et
environnementaliste à l’origine de la théorie de GAÏA, théorie qui consiste à
percevoir la terre comme un organise vivant,
autonome, qui autorégule son climat. Pour Lovelock, l’altruisme serait inhérent
à la biosphère. Il nous donne un exemple en nous parlant d’urine. L’urine
contient de l’urée, un composé fait d’azote, et l’azote est essentiel à la
croissance des plantes. Les plantes auraient alors pu coévoluer avec les
mammifères, augmentant ainsi en taille, ces grands végétaux aidant ensuite les
mammifères à se nourrir plus facilement.
Selon cette théorie de Gaïa, nous serions en quelque
sorte naturellement bons, conçus comme des agents compassionnels et nutritionnels
favorisant la croissance saine de la nature. Ce qui reviendrait à dire que nous
sommes toujours en train de donner quelque chose à la nature. Notre bonté
serait profondément inconsciente.
J’aime votre
livre, chers auteurs, parce que vous abordez aussi la compassion en misant sur
des textes littéraires ou des essais moins connus. Je vous félicite d’ailleurs pour
l’intérêt que vous avez porté à certains poètes qu’on a oubliés, comme Albert
Lozeau, le poète malade de l’école littéraire de Montréal, ami de Nelligan, qui
a passé sa vie sur le toit de son appartement, sur la rue Drolet ou bien à
Edward Stachura, poète polonais dont a parlé Bernard Emond dans son très beau
film TOUT CE QUE TU POSSÈDES, poète qui a tout donné ce qu’il avait, son
argent, ses biens, dans une frénésie de don, avant de se jeter sous les rails
d’un train. Ce sont des poètes aux destins fascinants et tragiques. Je m’en
voudrais d’oublier aussi le très beau texte de Nathalie Watteyne sur Patrice Desbiens,
le grand poète démuni et écorché de Sudbury.
Il m’est
impossible de traiter dans le cadre de ma chronique de tous les textes de
FIGURES DE COMPASSION. Mais je dois souligner ici le travail splendide que cet essai
universitaire a accompli, soit rester abordable, intelligent et simple. Je le
recommande fortement à tous les amateurs de cinéma et de littérature qui
cherchent à comprendre la compassion, cette émotion mystérieuse qui nous guide
tous, pour mieux vivre avec les autres.
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