Personne ne vous connaît, hormis
quelques universitaires et une poignée d’historiens. Vous êtes le préfacier
des œuvres complètes d’Emile Nelligan et c’est à cette humble place que
l’histoire littéraire vous a relégué. Vous auriez pu rester là, bien enfoui
dans notre historiographie, sans jamais remuer d’un iota. Mais vous avez piqué
la curiosité d’une Sherlock Holmes littéraire, de madame Yvette Francoli, qui a
fait éclater en pièces, en publiant une consistante biographie de vous, en
2013, le mythe de Nelligan. Vous seriez en fait l’auteur des poésies de mon
idole d’adolescence et même de celles de son meilleur ami, Arthur de Bussières.
Mon estomac a perdu un instant le pouvoir de digérer. Cher Louis Dantin, vous
avez glorieusement mystifié pendant 100 ans des fournées de jeunes étudiants
aux sonnets qui hésitent ou au cœur «enfoui dans l’abîme du rêve».
Permettez-moi ici de consacrer
quelques lignes à mon humble destin de poète québécois. En secondaire trois,
évoluant dans l’insouciance sucrée de ma jeunesse tendre, j’ai commencé à
écrire de la poésie. J’étais alors habité par ce désir naïf et louable de
ressembler à une de mes idoles d’alors : Emile Nelligan. Je trainais partout avec moi mon
exemplaire des poésies complètes de Nelligan, dans la collection FIDES des
classiques canadiens. Je le chérissais tellement que je l’avais recouvert d’une
pellicule plastique en scotch-tapant avec rigueur ses coins. Je voulais
tellement devenir un futur Nelligan que je m’habillais comme lui, en fait comme
sur la photo du poster que tout le monde connaît. Sur laquelle, cet éphèbe au
regard perdu, cheveux ondulés, porte un caban bleu-marine à six boutons. Il était tellement important pour moi alors de revêtir l’habit de
mon idole que j’avais harcelé ma mère jusqu’à ce que j’obtienne le vêtement
convoité.
Les années passèrent, les poèmes à
ma première blonde sur du papier de soie furent relégués à mes tiroirs et je
publiai mon premier livre de poésie en 1994, au Noroît. Ma vie en fut changée. J’étais
devenu poète, je pouvais réclamer ce titre légitimement. Avec mon troisième
livre, Les forêts on retint ma
candidature au prix Emile-Nelligan 2000. Je jubilais ! La succession de
Nelligan, détenue par la famille Corbeil, offre à un poète de moins de 35 ans,
depuis 1979, un prix d’excellence en poésie. La bourse est alléchante, le
prestige en est vif, et au lauréat on donne une médaille à l’effigie du grand
poète mythique. Une médaille frappée du profil de Nelligan. Cette année-là, ce
fut Tania Langlais qui obtint le titre. C’est elle qui repartit alors avec
l’écu mystique, le prix symbolique sans doute le plus convoité en poésie
québécoise car il récompense à la fois le talent et sa précocité.
À titre informatif, je vous donne ici les noms des finalistes du prix Nelligan 2014, ce sont trois femmes: Roxane Desjardins, Virginie Beauregard D. et Natasha Kanapé Fontaine. La lauréate sera connue en mai.
Emile Nelligan, notre Rimbaud
de seconde zone, mythe commode, a contribué à faire connaître la poésie
québécoise depuis cent ans. C’est notre poster
boy culturel le plus ancien dans sa jeunesse perpétuelle.
Maintenant, je me dois de
rendre hommage à celui qui a écrit sans doute la totalité sinon la majorité des
vers de ce Nelligan, piètre élève, amateur de poésie qui n’a jamais impressionné
les membres de l’école littéraire de Montréal jusqu’à ce qu’il vous rencontre.
Cher Louis Dantin, de votre
vrai nom Eugène Seers, maître es canular, grand mélancolique libidineux au cœur
tendre, prêtre défroqué, amoureux fou, rebelle, amant de jeunes hommes, père de
deux enfants, érudit notoire et génie précoce, vous étiez donc le Cyrano qui se
cachait derrière Nelligan. L’essayiste Yvette Francoli multiplie les preuves,
les coïncidences stylistiques avec votre œuvre passée et votre vie passée,
présente son procès en pseudonymie avec tant d’exemples et de recoupements
évidents que je suis sorti de son livre soufflé, ravagé et conquis.
Conquis, car cher Louis
Dantin, alias Emile Nelligan (alias Arthur de Bussières), j’ai appris à mieux vous
connaître, à saisir le parcours singulier d’un homme de chair, avant-gardiste,
épris de justice sociale, qui défroqua au début du siècle quand la plupart de
ses confrères ne trouvèrent le courage de le faire qu’en 1960, qui galéra un
peu partout, comme typographe, à Boston, par exemple, continuant à écrire des
poésies étonnantes, tout en fréquentant ouvertement une femme noire en 1923, à
l’époque où la société jugeait encore avec sévérité toute relation interraciale
!
Cher Louis Dantin, votre persistant
désir de liberté, vos poésies mélancoliques et vos poésies en joual, votre
désir acharné de voir progresser les mentalités du début du siècle font de vous
un fabuleux représentant de nos lettres et un exemple de vie rebelle tout aussi
intéressante que celle de votre protégé !
Cher Louis Dantin, vous êtes
une espèce de William Burroughs sans drogue, un Allen Ginsberg sans beat, un
André Breton de l’école littéraire de Montréal qui se serait contenté des
coulisses de l’histoire tout en tirant ses ficelles.
Je me suis sans doute un peu exalté ici, nous n'avons pas de confession, ni de preuves manuscrites flagrantes, mais tous les chemins convergent vers l'interprétation défendue bec et ongles par Francoli, que les textes de Nelligan sont de vous. Certain témoignages, dont celui du père Boismenu, ouvrent la porte à toutes les spéculations.
Cher Louis Dantin, vos dons n'ont jamais été reconnus à leurs justes valeurs et cet essai vous réhabilite dans le panthéon de nos lettres.
Je me suis sans doute un peu exalté ici, nous n'avons pas de confession, ni de preuves manuscrites flagrantes, mais tous les chemins convergent vers l'interprétation défendue bec et ongles par Francoli, que les textes de Nelligan sont de vous. Certain témoignages, dont celui du père Boismenu, ouvrent la porte à toutes les spéculations.
Cher Louis Dantin, vos dons n'ont jamais été reconnus à leurs justes valeurs et cet essai vous réhabilite dans le panthéon de nos lettres.
Je ne sais
trop ce qu'il adviendra du mythe de Nelligan, mais
j’espère toutefois que dans nos futurs manuels scolaires, la postérité reconnaîtra votre duo inégal quoique formidable et que votre nom passera en notes majeures et non en notes de bas de page.
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