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mardi 1 septembre 2015

Les idéologues de l'austérité ou les gens qui n'aiment pas la culture


Je ne suis pas né dans un pays défavorisé. J’ose encore le croire.

Aussi inculte et sauvage que puisse être le Québec, une de nos forces est l’abondance de bons artistes, de bons écrivains, de bons acteurs. L’éducation publique, la création du conseil des arts et lettres du Québec, des écoles de théâtre, des festivals de toutes sortes, du 1% en art contemporain correspondent à notre vision sociétale de soutien des arts et des artistes. Le Québec et ses gouvernements successifs, depuis les débuts de la Révolution tranquille, ont permis à bon nombre de québécois de suivre leur voix, de soutenir le choix que plusieurs personnes ont fait de vivre dans une certaine précarité pour servir leur art, leur passion, ce luxe qui n’en est pas un (si nous ne vivons pas dans un pays défavorisé, je reviens là-dessus).

C’est toujours aussi difficile de choisir la voie artistique au Québec, mais grâce à tous ces programmes, ces institutions, ces Cégeps qui engagent des artistes, parfois, il est encore possible de rêver concrètement sans avoir à devenir un entrepreneur ou un employé pour étouffer l’étincelle de talent qui nous habite. Car revenir brutalement au monde du travail, pour des artistes qui ont contribué à l’essor des arts au Québec, ont eu une carrière florissante, ont participé à la vie publique des arts et des lettres, ne va pas de soi.

Le néolibéralisme ne respecte pas les artistes. Ne comprends pas leur désir naturel d’autonomie, leur choix de vie.  Les idéologues de l’austérité ressortent à tous vents les préjugés d’une partie de la population qui abhorrent les artistes, les méprisent et brandissent l’épouvantail du succès de Céline Dion ou du Cirque du Soleil (les plaintes du professeur qui fustige la nouvelle orientation de l’université dans Journal d’un vieil homme de Bernard Émond) comme modèle de réussite artistique.

Je le répète ici et on ne le répétera jamais assez, la culture, ce ne sera jamais trois personnes ou trois organismes qui carburent au pactole du succès international. La culture d’une nation, d’un pays n’existe que si et seulement si l’on favorise les destins artistiques, quels qu’ils soient, quelque soit la forme qu’ils prennent chez les gens qui se sentent appelés par un destin artistique. La culture, ce n’est pas que le goût du public qui n’aime pas la culture, car le goût du public qui n’aime pas la culture n’est pas suffisant pour soutenir la culture. Pardonnez-moi cette tautologie, mais il me semblait important de le rappeler, si l’on aime la culture, on devient curieux de culture et on finit par se renseigner, lire un peu, aller voir des spectacles qui ne se déroulent pas sous un chapiteau avec un titre en langue inventée et on prend le temps d’aller acheter un livre québécois le 12 août.

La culture, ce ne sont pas les trois baobabs, entreprises culturelles dont on rabâche les noms depuis trente ans pour se taper sur le torse, à l’image de gorilles prépubères qui ont trouvé les mâles et les femelles alpha culturelles devant qui se prosterner. Non. La culture, c’est la forêt derrière ces baobabs, ce sont ces fougères fragiles, ces bosquets clairsemés, ces bouleaux argentés, ces érables rares, ces clairières de verdure foisonnantes de plantes minuscules, de fleurs qui vous sont inconnues.

La culture, c’est tout aussi bien cette auteure de Lanaudière qui publie à compte d’auteur des romans historiques qu’elle vend dans les foires agricoles que le dernier prix du Gouverneur général, la jeune poète qui vient d’obtenir le prix Nelligan et les finalistes de ce prix; la culture, c’est cet éditeur fou qui vient encore de créer des livres d’une beauté formidable et qui sait que s’il est seulement chanceux, il arrivera peut-être à récupérer sa mise; la culture c’est cette danseuse contemporaine qui habite en haut de chez vous, semble gigoter sur son plancher, s’excuse de faire un peu de vacarme quand elle vous croise et qui aura toujours cette humilité de ne pas vous révéler ce qu’elle fait dans la vie; la culture c’est l’auteur de ce livre descendu par la critique, honni par ses pairs, qui poursuit tout de même son bonhomme de chemin et finit par devenir un écrivain culte pour la plus jeune génération; la culture ce sont tous ces bédéistes qui continuent à créer de fabuleuses planches publiées par des éditeurs fous, encore, et qui savent bien que leur œuvre, même si elle ne finit pas en superproduction québécoise à la Paul à Québec (qui a d’ailleurs été extrêmement difficile à financer, autre preuve d’acharnement bénéfique) fait le bonheur d’une poignée d’amateurs fidèles; la culture c’est cette nouvelle pièce de théâtre bancale, montée par des finissants de l’école nationale de théâtre, dans laquelle on remarque des visages, des jeunes hommes et de jeunes femmes au talent prometteur qui fourbissent leurs armes en catimini, dans un sous-sol d’église; la culture c’est cette jeune auteure, ce jeune performeur, cette actrice sur l’aide sociale qui préparent leur prochaine œuvre, leur prochain projet; la culture c’est tous ces artistes à qui ont a refusé des bourses du Conseil des arts et lettres du Québec et des bourses du Conseil des arts du Canada, mais qui persévèrent malgré tout, finissent par terminer leur œuvre, leur pièce, leur installation, à réaliser l’idée qui les habite depuis plus de trois ans et obtiennent un succès critique; la culture ce sont aussi tous ces boursiers du conseil des arts, ces privilégiés qui auront un an ou quelques mois  sans soucis financiers pour réaliser leur œuvre; la culture c’est plus de six cents romans publiés, plus d’une centaine de pièces de théâtre, plus de cent livres de poésie, plus de trois cents expositions, des yeux déçus, ébahis, soufflés, inspirés.

La culture, c’est la possibilité qu’on a choisi de définir notre destin, de se réaliser autrement dans un monde obnubilé par la productivité, la rentabilité et des idées de la sorte qui n’ont rien à voir avec la VRAIE culture.

La culture, ce ne devrait pas être le public qui n’aime pas la culture qui la définit, mais tous ceux qui souhaitent la vivre, en vivre, s’adonner à leur art.

Parce que dans une société civilisée, dans un pays développé comme le nôtre, la pluralité des destins est bien un droit acquis, non un privilège réservé aux seuls artistes qui ont des succès internationaux.

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