Nombre total de pages vues

samedi 25 janvier 2014

«Her» : la maladie de la solitude et l’amour dans la voix

Nous n’appelons amour ce qui nous lie à certains êtres que par référence à une façon de voir collective et dont les livres et les légendes sont responsables. Mais de l’amour, je ne connais que ce mélange de désir, de tendresse et d’intelligence qui me lie à tel être.
Albert Camus, Le mythe de Sisyphe

Quelqu’un que j’aime beaucoup m’a dit récemment : «le couple est un concept dépassé».  Il m’a semblé qu’elle disait vrai, qu’elle énonçait même une espèce d’évidence dérangeante.

Nous errons tous sur les multiples chemins relationnels que nous propose le marché des valeurs émotives et nous suivons la parade, tous un peu blasés mais toujours prêts à tester de nouvelles techniques de rencontre.

Comment interagir avec nos semblables, développer des connivences avec les personnes qui nous intéressent, apprendre à s’abandonner afin que l’autre nous accueille dans son univers singulier ? Ce sont des questions que les êtres humains se posent depuis que nos sociétés se sont érigées sur la maîtrise de la parole et la communication langagière.

La révolution numérique et notre réalité 2.0 ont opéré dans nos vies l’équivalent d’un Big Bang de la parole écrite et de la lettre lue. Nous n’en sommes en plus qu’au début du déploiement magique des pouvoirs de cette parole mathématique, virtuelle, imitant toujours de mieux en mieux notre intuition humaine et nos échanges affectifs.

Un jour, et il va falloir que ça arrive (tout notre futur a été conçu pour qu’éventuellement cela advienne) les êtres humains fabriqueront des consciences virtuelles qui sauront mimer à la perfection les interactions humaines complexes.

À quoi ressemblera cette interaction virtuelle ? Spike Jonze nous a offert un film d’une grande intelligence qui l’imagine.



Theodore Twombly est un écrivain qui rédige des lettres personnelles pour des gens qui ont décidé de sous-traiter cette tâche à une compagnie spécialisée dans le domaine. L’époque se situe dans un futur envisageable à moyen terme, d’ici trente ou quarante ans. Le personnage, mélancolique, un peu terne quoiqu’inventif et talentueux, interprété par le grand Joaquin Phoenix est divorcé et solitaire. Nous entrons dans sa vie à un moment où il s’ennuie. Vivant seul dans une immense tour de logement, Theodore Twombly s’occupe en jouant à un jeu vidéo immersif en 3 D, échange avec une amie mal mariée et profite de services de rencontre téléphonique.

Mais un jour il tombe sur la publicité d’un service d’exploitation pour son ordinateur doté d’une conscience et qui peut échanger de façon outrageusement humaine avec son propriétaire.

Afin de personnaliser l’interaction que Theodore aura avec sa machine, le système lui pose quelques questions d’ordre personnel telles que : êtes vous sociale ou antisocial ? Quelle était votre relation avec votre mère ? Voulez-vous une voix d’homme ou de femme ?

Il demande une voix de femme, marmonne deux ou trois choses au sujet de son côté social ou antisocial et parle en quelques mots du narcissisme de sa mère. Le logiciel compulse ces données et cinq secondes plus tard, la voix de Scarlett Johansen l’accueille tout en se présentant !

«Bonjour, je m’appelle Samantha et toi ?»

L’amour ou la maladie de la solitude

La science-fiction amoureuse est un genre bien établi.

Il y a eu des films tels que Eternal sunshine of the spotless mind (2006) par Michel Gondry sur un scénario de Charles Kaufman où l’on efface les souvenirs douloureux rattachés spécifiquement à une personne, à un amour passé. Dans un registre moins ambitieux, mais mettant tout de même en scène un homme qui tombe en amour avec un porte-clé qui lui répond seulement «I love you», l’étrange I love you de Marco Ferreri (1986), sans oublier la peinture nouvel-âgiste et spirituelle de l’avant-dernière réalisation des frères Wachowski, Cloud atlas (2012), dans lequel on suit les réincarnations de quelques personnages qui s’aiment à travers les siècles jusqu’à un futur dystopique où des clones de jolies femmes asiatiques deviennent des esclaves dont on peut disposer sans remords, bien entendu l’essentiel Blade runner (1982) de Ridley Scott et ses robots trop humains dont on peut tomber amoureux, les replicants tout autant que le scénario de Ian Watson, adapté de la nouvelle de Brian Aldiss «Supertoys last all summer long» par Spielberg, A.I. (2001) dont l’intrigue principale tourne justement autour d’un robot-enfant capable d’amour.  Projet, originalement mis en branle par le réalisateur de 2001 l’odyssée de l’espace en 1970, mais ultérieurement offert à Spielberg et réalisé après la mort de Kubrick.

L’être humain ne peut vivre sans ces histoires complexes qu’il associe aux êtres qui prennent soin de lui ou l’écoutent ou le comblent plus que la moyenne des ours. La fiction est née de  nos espoirs en l’avenir et de notre faconde quand il s’agit d’imaginer des êtres éternellement redevables de notre présence ou de notre spécificité d’humain.

Nous tombons tous d’abord en amour avec des mots, des histoires, une voix. Les sept mots que Monika, la mère putative du petit robot-enfant dans A.I. (2001) doit lui lire pour activer son programme d’attachement amoureux ne sont pas anodins. La mère doit entre autres prononcer le nom de «Socrate». Ce mot de passe pour activer l’attachement à vie d’un enfant-machine et en soit la métaphore culturelle à générer également, chez tout enfant que l’on veut préparer à aimer des êtres humains.

Dans Her, Spike Jonze met en scène une histoire d’amour qui se veut réaliste entre la voix d’un système d’exploitation doté d’une conscience artificielle et un être humain organique. Il réinvente ce processus d’infatuation amoureuse, ce long échange de données qui génère un sentiment amoureux entre deux êtres humains

La voix humaine est fabuleusement intime.

En charriant des centaines d’informations subsidiaires, à part les mots qu’elle amplifie, la voix peut devenir intimidante. Or nous sommes tout de même en mesure de fantasmer tout un corps à partir d’une voix, d’imaginer un univers complet, de nous projeter dans ses modulations rythmiques, de s’y attacher. En quelque sorte, il ne suffit bien souvent que d’une voix aimante et compréhensive pour tomber amoureux. Souvenirs évidents des premiers contacts avec la voix maternelle.

Substance émotive infinie, la voix est le fertilisant sans quoi l’amour resterait un concept abstrait.

Jonze pousse jusqu’à la caricature cette liaison amoureuse entre la voix d’un système d’exploitation et un être humain.

En cette ère de cyberintimidation, d’arnaques sentimentales et sexuelles sur Facebook, on imagine toutes les possibilités inquiétantes des futurs systèmes d’exploitation intelligents.

À la fin du film, Théodore est amèrement déçu quand il comprend que cette voix si intime, qu’il croyait personnelle ou qu’il avait appris à percevoir comme personnelle, s’adressait simultanément à des centaines de gens.

Finalement, l’amour ne serait-il que l’illusion interpersonnelle la plus perfectionnée ?

Quoi qu’il en soit, l’être humain ne réglera pas de sitôt, même avec la technologie, les besoins émotifs primaires des gens seuls et désespérés.

1 commentaire:

  1. Quoi que l'homme puisse faire il ne saura jamais comment s'emparer ni posséder l'amour pour ensuite essayer de le vendre sous une autre forme. L'amour n'est pas à vendre. L'amour fait du bien mais fait beaucoup de mal aussi...quand il s'en va. Avec les réseaux sociaux on ne nous apprend pas à aimer on nous apprend à plus vite larguer dès que la moindre petite chose ne fait pas notre bonheur. Rien n'est parfait et l'amour encore plus que tout !

    RépondreSupprimer