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mardi 25 février 2014

La disparition des salles de cinéma et le spectateur Mohican


Un jour, tu le sens, ça devient palpable, tu multiplies les rencontres et tu n’engranges plus que des amitiés platoniques ou des projets de commensalisme. Les phénomènes de société cessent aussi de séduire, perdent de leur panache, s’enfoncent lentement dans l’obsolescence.

Je suis un cinéphile maniaque. Je ne peux pas me passer de cinéma, ni de littérature. La littérature est mon métier, mais le cinéma est ma principale drogue sociale. Une semaine sans visionner un film ressemblerait dans ma vie à une peine d’exil sur une île déserte avec un seul palmier, décor bédéistique. J’ai fortement besoin de cette illusion pratique, bête, enveloppante, qui nous permet de fuir le quotidien. Bien sûr, comme tout le monde, je regarde des films sur mon ordinateur, en streaming, loué ou non. Mais si j’ai le choix, je préfère me rendre dans une salle de cinéma. Il s’agit pour moi du dernier rituel grégaire athée communément admis (à part les manifestations de rue). Toute personne assise dans une salle de cinéma comprend qu’elle sera exposée à un univers parallèle. Nous partons tous en voyage, sans nous connaître, vers un lieu convenu (blockbuster), dérangeant (film d’auteur confrontant) ou divertissant (comédies légères). Le cinéma a forgé la mystique athée contemporaine de l’image, depuis les années 40, tout en installant la propagande capitaliste. C’est un instrument social puissant, mais aussi un médium de création d’une grande souplesse permettant d’exprimer les idées et les histoires les plus audacieuses.

De Manufacturing consent à la Passion de Mel Gibson, toutes les idées politiques s’y sont exprimées.  Monter bout à bout tous les films qui ont été réalisés depuis les frères Lumières nous confronterait à la masse confuse et variée de notre psyché humaine.

Je remarque néanmoins que depuis quelques années (cette année c’est encore plus flagrant), presque plus personne ne se déplace pour partager cette expérience immersive du grand écran dans les salles de cinéma à Montréal. À plusieurs reprises et à toutes les heures de la journée, je me suis retrouvé dans une salle vide, spectateur Mohican, avec sa tête tomahawk/stylo bille, à visionner un film parfois indépendant, à d’autres occasions tout ce qu’il y a de plus commercial.

Je vous entends dire les kits de cinéma maison, Netflix, Glowglazer, Putlocker, tous les sites de Streaming, les locations en ligne sur iTunes, et partout sur le web sans compter les torrents. Je vous comprends et je dois l’avouer, je profite moi aussi de toute cette offre filmique. Mais les salles de cinéma ne représentent-elles pas, comment dire, une espèce de noblesse laïque, athée, complètement destinée à diffuser dans les meilleures conditions une image mouvante ?

On décrète la mort du cinéma depuis de nombreuses années, on parlait en somme du format de diffusion du spectacle-cinéma, car le spectacle perdure, s’est insinué, nous suit partout, revêt dorénavant des habits protéiformes, n’a jamais cessé d’augmenter sa présence.

Or le cinéma est aussi un art et non pas seulement un spectacle. Incidemment, la salle de cinéma, auparavant lieu fréquenté destiné à la diffusion de masse est devenue petit à petit un lieu de méditation cinématographique, si on fait abstraction des publicités criardes en début de séance. Car s’engouffrer dans cette caverne à images relève dorénavant beaucoup plus d’une démarche patrimoniale, esthète, compatissante et à la limite mystique athée que d’un rendez-vous culturel commun.

En 1975, Peter Bogdanovich, dans The last picture show, imaginait la disparition des salles de cinéma dans un film mélangeant mélancolie adolescente et western légendaire. 



Certes, peut-être que la salle VIP (sièges transats capitonnés, bar,service de repas de luxe) du Cinéplex Odéon Brossard du quartier Dix-30 n’est pas l’avenue que choisiront tous les propriétaires de salles de cinéma pour garder leurs entreprises à flot. Toutefois, je ne vois pas pourquoi cet important rituel de visionnement en groupe d’une œuvre cinématographique a à disparaître.

En tant que communauté, nous aurons toujours besoin de ces rituels de regroupement athée ou laïques devant des œuvres d’art d’images mouvantes. Question de célébrer notre cohésion sociale, de communier pacifiquement devant les images mouvantes, artistiques, louables et précieuses qui revendiquent et illustrent notre condition humaine. Certes, vous pensez tous à Moment Factory et les projections sur les immeubles sans compter les grandes diffusions de film en plein air.

Peut-être, en somme, et je vous le concède, que tranquillement les rues deviendront nos nouvelles salles de cinéma bondées.

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