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mercredi 18 février 2015

Lettre aux revues littéraires québécoises


 (et mention du numéro exceptionnel soulignant le 60e anniversaire 
de la revue LES ÉCRITS)




Ma chronique Lettre aux artisans de la beauté du monde pour la suite du monde


Chères revues littéraires québécoises,

Vous avez la vie fragile, le financement maigre et une volonté de fer. C’est dur vivre de culture au Québec, la littérature n’est pas valorisée, les écrivains inconnus et les lecteurs assidus une denrée rare. Pourtant vous survivez, malgré les coupures sévères et les tempêtes, en capitaines vaillants, fendant la mer d’indifférence pour en rapporter du beau, du grand, de l’intelligent. Diffuseurs de fonds et de formes, vous n’avez pas peur de penser, de critiquer, de publier poèmes et articles, recensions et textes, rappelant à tous que le Québec est un merveilleux vivier de talents littéraires, de penseurs et d’artistes du clavier.

Chères revues littéraires, vous avez de l’audace et vous n’écoutez pas les ragots des chroniqueurs de l’institut Fraser et de la droite populiste. Débranchez tous les respirateurs nécessaires, ces subventions malingres, ces paquets de change pitchés sur la toast du mépris des intellectuels et des écrivains, et vous condamnez à mort tout cet écosystème des revues de création. Imposer le marché à cet écosystème fragile, c’est l’équivalent de construire un dix-trente là où il y a encore des musées, des maisons de la culture et des HLM. Résister à la sauvagerie du marché, garder en vie la diversité des modes de création et de pensée et sauvegarder les lieux d’expérimentations littéraires sont votre devoir, vos raisons d’exister.

Chères revues littéraires, je vous aime d’un amour passionnel. Je vous aime en incongru qui vous feuillette beaucoup, vous lis en extrait sur vos sites, vous achète parfois et s’abonne encore trop peu à vos copies papier. Je vous aime parce que vous êtes distinctives, rebelles, graphiquement attrayantes et riches de contenu. Vous n’avez pas froid aux yeux et vous faites souvent des pieds de nez à la rectitude et à la bonne mesure en publiant des numéros somptueux, gargantuesques et tout aussi pertinents que de grandes anthologies.

Je pense entre autres ici à la doyenne des revues littéraires, LES ÉCRITS, qui vient de fêter son soixantième anniversaire. Publication qui a accueilli des textes inédits de Marcel Dubé et Anne Hébert à ses débuts en 1954, lorsqu’elle s’appelait encore LES ÉCRITS DU CANADA FRANÇAIS. Nom qu’elle a abandonné en 1995, pour des raisons sans doute politiques, date d’un référendum de triste mémoire.

Je suis estomaqué par le travail éditorial et l’ambition du numéro anniversaire de la revue LES ÉCRITS. En fait, il faudrait parler ici d’un numéro double, les numéros 142 et 143 de cette revue. Le 142 est en kiosque, le 143 sortira bientôt..

Site de la revue 



Ces deux numéros exceptionnels, constituent un corpus éditorial unique, réunissent 80 écrivains jumelés en duo, des jeunes avec des vieux, des auteurs émergents avec des auteurs confirmés. Chacun des auteurs devait dédier à l’autre un texte et témoigner ensuite de la lecture de l’œuvre de son vis-à-vis. Les élans d’admiration, en littérature, se font rares. Les écrivains sont, la majeure partie du temps, des solitaires acariâtres, des gênés chroniques ou des reclus qui se font violence pour accueillir leurs lecteurs. Leur demander d’écrire à un collègue, un camarade, est inusité et permet de révéler tout le poids des admirations mutuelles entre auteurs d’ici. L’exercice est beau, le choix des duos judicieux et l’ambition du projet colossale. Ce sont deux briques de plus de 400 pages chacune, offrant le meilleur de la littérature contemporaine d’ici, des anthologies sur pattes, de grandes œuvres d’introduction à la littérature actuelle du Québec. Procurez-vous ce trésor si vous êtes intéressés à la littérature d’ici. Il s’agit d’un exploit éditorial.

Je ne cite rapidement que des duos étonnants d'auteurs qui s'avèrent des découvertes de connivence formidables, je pense à Jean-Simon Desrochers et Robert Lalonde, Hervé Bouchard et Jean-Pierre Vidal, Étienne Beaulieu et Yvon Rivard, Filippo Palumbo et Paul Chamberland, Benoit Jutras et Marcel Labine (cela va de soi) ainsi que Martine Audet et Nicole Brossard (un naturel), Michaël Trahan et Michael Delisle (les deux Michael), Kim Doré et Louise Dupré, Perrine Leblanc et Catherine Mavrikakis. Certes, même si dans ces deux numéros, on recense et souligne les oeuvres importantes de 80 écrivains contemporains d'ici, il y a des absents, des manques et on aurait souhaité une anthologie de ce genre avec une centaine de duos. Mais l'offre est généreuse, le résultat exaltant et l'initiative courageuse et surtout, cette certitude, après avoir lu ce numéro (en partie) que notre littérature est riche, grande et en santé !

Ces deux numéros sont le chant du cygne du directeur actuel de la revue, Pierre Ouellet. On pourra dire de lui que sa discrétion aura été indirectement proportionnelle aux ambitions qu'il avait pour la revue. Ambitions de maillage avec de grands auteurs français, de vitrine de la diversité scripturaire québécoise et de célébration de la littérature inventive d'ici, qui ont été réalisées avec brio grâce à l'énergie vibrante, la passion et le tempérament fougueux qui caractérisent cet écrivain et grand homme de lettres !

Chères revues littéraires vous êtes récentes, les plus vieilles d’entre vous datent des années 50, votre nombre a explosé dans les années 70 et 2000 et vous vivotez  depuis entre Lajeunesse et la Sagesse, pour paraphraser les sœurs McGarrigle.

Chères revues littéraires, vous avez le courage des gens fatigués de la morosité ambiante, vous brûlez parfois des étapes, vous criez fort, vous distillez le doute dans les esprits embrumés par des certitudes sèches, et des idées de caoutchoucs. Vous êtes des preuves flagrantes de la vivacité de notre littérature, de sa modernité, de la folie salvatrice des imaginaires des auteurs d’ici qui daignent se dépasser, qui osent, créent des objets littéraires tous plus originaux les uns que les autres. Je pense à des revues comme LE SABORD, ESTUAIRE, EXIT, LIBERTÉ, NOUVEAU PROJET, MOEBIUS, VIRAGES, XYZ, L’INCONVÉNIENT, CONTRE-JOUR, ZINC.

Chères revues littéraires québécoises, je vous aime. Votre santé éditoriale est un ajout notable à la beauté littéraire de notre monde et je vous souhaite longue vie et de meilleures conditions d’existence.

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