Ma chronique Lettre aux artisans de la beauté du monde pour la suite du monde |
Cher Xavier Dolan, cher Salvador Dali
Vous avez compris que l’art se doit d’exister dans la démesure, la folie,
la revendication de votre propre territoire artistique. Vous avez conquis, en
desperado, les montagnes de l’apathie, les vallées de la dégénérescence, les
politiciens du statu quo et les troupes noires de la bêtise humaine. Vos épées
sont des luminaires de joie, des secousses de vitalité dans notre monde coulant
qui s’échappe en gelée, qui réagit en pouding au désarroi normal de vivre.
Cher Xavier Dolan, cher Salvador Dali, votre existence est la preuve que le
génie peut avoir un lien avec l’ambition, que l’ambition n’est pas un sentiment
humain qui ne dure que dix secondes dans les espoirs timorés des gens qui nous
entourent. Combien de «si j’avais», combien de «tu aurais dû» grouillent dans
les placards de nos vies mornes balisées par la peur de mal paraître, la peur
d’en demander trop, l’insigne stupidité de penser qu’une idée n’a pas d’allure.
Votre audace est un chemin tracé pour tous vers la résolution de nos gênes. Car
toute volonté devrait s’apaiser dans la réalisation, toute volonté devrait
avoir la force de se buter aux difficultés de ses aspirations, toute volonté a
le devoir d’ériger la vie en une entreprise qui nous dépasse.
Cher Xavier Dolan, cher Salvador Dali, vous n’avez jamais considéré l’art
comme un packaging propre, un produit frimé, vous avez conçu des œuvres qui
font éclater notre rapport au monde, repoussent les limites de la bienséance
artistique pour nous montrer toute la violence de la beauté, la sauvagerie
animale des pulsions humaines, la complexité viscérale de notre imaginaire.
Cher Salvador Dali, ton Chien Andalou est un chef-d’œuvre surréaliste qui
nous hante dès la fin de son visionnement, un brûlot artistique qui vient tâter
notre peur viscérale d’être disséqué vivant.
Cher Xavier Dolan, la décharge d’électricité que nous assène ton
film Mommy galvanise notre peur de vivre et la transforme en urgence de vivre.
Qui mieux que toi a réussi à exprimer l’harcelante inquiétude qui nous permet
d’exister au regard des autres, le chaos provoqué par une émotion vécue au
maximum.
Chers créateurs prolifiques, tous les jours on me rappelle que vivre est un
sport de combat, une suite de déconvenues qui rétrécissent nos illusions, une
bataille entre peur et volonté. On ne se bat plus tellement pour survivre, mais pour exister toujours plus aux
yeux des autres.
À cet égard, j’aime les êtres humains qui vivent furieusement, sans
compromis, qui agitent leur monde intérieur à la barbe de tous pour ériger
leurs angoisses en mode de vie !
Cher Xavier Dolan, cher Salvador Dali, vous jouez dans vos paranoïas, vos
désirs troubles, l’édifice humain de votre psyché pour construire des chambres,
des vestibules et des palais artistiques à l’épreuve du temps.
Cher Salvador Dali, tu as eu Gala, cher Xavier Dolan, tu as Anne Dorval.
Vous avez chacun vos muses qui ont contribué à votre rayonnement et sont
devenues des légendes en soi.
Comme tous les gens forts et talentueux, vous avez eu aussi vos
détracteurs, les jaloux farineux, les obsédés de vos styles de vie, les
méchants par lâcheté des réseaux sociaux.
Ces détracteurs sont les symptômes de votre importance et les résidus secs
des cépages qui font le bon vin. Des précipités naturels qui viennent avec la
distillation de votre talent.
Cher Xavier Dolan, tes yeux de caverne ressemblent à un essai philosophique
et ta présence à l’écran, que ce soit dans La chanson de l’éléphant, Miraculum ou dans tes propres films, réussit toujours à nous captiver, à
faire vibrer en nous cette corde de l’inquiétant, tu es un acteur qui
s’abandonne dans les névroses de ses personnages et qui nous les rends si
vivaces, si tendues, si crédibles.
Ne parlons pas de Jutra, ni d’Oscar, de prix ni d’excellence, mais plutôt
de beauté, de grandeur réelle et d’ambitions nécessaires. Car sans Dali ni
Dolan, la beauté resterait petite et les ambitions, sans substance.
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