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lundi 23 mars 2015

Lettre aux immigrés et aux immigrants



Vos épaules sont larges. On vous charge de tous les mots, on vous pointe du doigt et on vous assène notre agressivité refoulée de peuple conquis, de peuple frustré, de peuple paradoxal qui se démène dans la mélasse de ses convictions.

Chers immigrés et chers immigrants, je vous aime d’un amour courageux répondant au courage que vous avez eu de quitter votre pays d’origine pour venir vous établir ici, au royaume de la poutine politique et des coqs de salon. Entendez-moi bien, je suis souverainiste, j’aime le pays de mes rêves qui n’a jamais existé et j’écris en français avec toute la fierté des gens qui aiment leur langue maternelle.

Mais, chers immigrés et immigrants, je sais aussi que la nature humaine est complexe, qu’il n’y a pas plus de méchants, en pourcentage dans vos rangs que de bandits dans les nôtres.

Chers immigrés et chers immigrants, nous somme tous des immigrants. Vous le savez sans doute plus que nous, qui nous personnifions en «souches» pour mieux simuler l’enracinement, oubliant ainsi tous les peuples d’Asie qui ont migré sur les terres d’Amérique du Nord en transitant par le détroit de Béring. Tous ces futurs amérindiens qui sont venus s’établir sur ces terres qui n’ont jamais appartenu à personne et ont toujours nourri quiconque s’y est établi, depuis déjà 12 000 ans.

Chers immigrés et chers immigrants, nous resterons tous des immigrants, car depuis que l’homo sapiens a quitté les terres du continent africain, il y a de cela 80 000 ans, l’être humain a transhumé partout à partir de son berceau, étendant ses racines, ces belles fictions ethnocentristes, pour clamer à tort et à travers des bouts de terrain, l’humus fertile, des droits de propriété sur la terre indifférente et libre.



Chers immigrés et chers immigrants, je sais que parmi vous, il y en a plusieurs qui ont fui des guerres, des zones de conflit, ont subi des sévices et ont vécu sous des régimes sadiques où l’opinion détonnante est perçu comme un crime fatal. Le Québec est pour vous un gîte, un abri, une société d’accueil. Et vous êtes pour nous des «ouvertures d’esprit» ambulantes, des «remises en question bénéfiques» de nos a priori culturels, des saveurs inédites à découvrir !

Chers immigrés, chers immigrants, nous sommes tous nés des étoiles, il y a plus de 13 milliards d’années et nos atomes se mélangent naturellement. Indifférents aux préjugés agressifs, aux idées conservatrices, aux peurs nationales et aux crispations identitaires, molécules et atomes passent du Sahara à l’Europe, de l’Amérique à l’Asie, de l’Afrique aux États-Unis sans jamais demander de passeport, trainée d’existence, poudre de vent, lissant tous nos paradoxes dans une grande marmite génétique.

Je suis là, ici, maintenant, au coin de Saint-Laurent et Sainte-Catherine, pas très loin au nord des terres de la vieille Ville-Marie, arrière-arrière-arrière-arrière petit-petit-petit-petit-petit-petit-petit-petit-petit-petit-petit enfant de François Riquet dit Laverdure, soldat de la compagnie franche de la Marine, au service de Charles LeMoyne, baron de Longueuil, arrivé en terre de Nouvelle-France avec le désir de refaire sa vie, de s'acclimater à la température farfelue et rugueuse de nos latitudes frigorifiantes, les bras plein de projets d'enfants coriaces et de famille, déterminé à persister en sol d'Amérique. Et bien dans quatre cents ans, vos descendants seront aussi lyriques que moi et exprimeront avec autant d'émotions leur histoire courageuse et folle qui a mené à leur enracinement extraordinaire en terre du Nouveau-Québec.

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