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lundi 25 mai 2015

Lettre à Florence Nightingale et aux infirmiers et infirmières du Québec


Ma chronique Lettre aux artisans de la beauté du monde pour la suite du monde
(Il s'agit de ma dernière chronique dans le cadre de cette émission. Merci à tous de m'avoir suivi ! Bon été !)



Chère Florence Nightingale,

Votre vie est une suite de batailles pour rendre plus humaine l’expérience du blessé, du malade. Vous avez consacré vos énergies à la défense des droits des mal en point, des pauvres et des laissés pour compte.

À une époque où l’anesthésie n’existait pas, que les chirurgiens amputaient les membres sur les champs de bataille comme on répare une vieille voiture, avec autant d’humanité qu’un mauvais garagiste, vous vous êtes soulevé contre cette culture machiste.

Chère Miss Nightingale, vous étiez une aristocrate, née dans une famille avec des domestiques. S’intéresser à la souffrance des autres n’était pas dans les gènes de votre confrérie. Pourtant, dès votre jeunesse, vous avez fait preuve d’une attention particulière aux tourments des animaux et des êtres humains. Votre animal de compagnie était un hibou que vous aviez sauvé d’une mort certaine,  trouvé amoché en rase campagne. Vous l’avez appelé ATHÉNA comme la déesse de la sagesse. Un peu chouette vous aussi, intransigeante et brusque, vous n’acceptiez pas l’indifférence à la souffrance des autres. Vous réserviez votre tolérance aux blessés et votre caractère cassant à ceux qui les méprisaient.

Chère Florence, permets-moi de te tutoyer, car ici, au Québec, on tutoie souvent les gens qu’on estime. Tu as publié plusieurs œuvres et dans l’une de celles-ci tu as écrit : «Mon esprit est absorbé par la souffrance humaine, elle m’assaille de tous côtés. Mais j’arrive à peine à voir autre chose et tout ce que les poètes chantent des gloires de ce monde m’apparaît mensonger.»

Les poètes ont le dos large, et je te le concède, ils sont moins importants que les donneurs de soins. Mais leurs écrits sont parfois bénéfiques dans le traitement de certaines maladies mentales et je lance comme ça une suggestion aux infirmiers et aux infirmières : pourquoi ne pas prescrire la lecture de poésie dans votre plan de soin ?

Chère Florence, ta légende est née durant la guerre de Crimée, en 1854. Une guerre menée par l’Angleterre et la France contre la Russie qui venait de prendre Sébastopol. Tu as pris en charge un hôpital de campagne, trainant ta bassine d’eau bouillante pour nettoyer les éponges destinées à laver les blessés mais qui distribuaient plutôt le choléra et la mort. L’hygiène étant mal comprise à l’époque. La «grande dame à la lampe», tel était ton surnom, tu circulais, de lit en lit, pour visiter les soldats souffrants, une lanterne turque à la main. Image qui a vite fait de t’associer à la dernière lueur bienveillante destinée aux mourants.

Je t’écris avec le plaisir d’un épistolier qui s’adresse  à une épistolière. De ton vivant, on a publié tes correspondances, tes lettres de Crimée et  d’Égypte. Tu y as suivi l’armée de Sa Majesté britannique. Auteure, tu n’as cessé d’écrire sur la refonte du travail de l’infirmière afin d’éduquer convenablement les jeunes femmes qui aspiraient à cette profession. On te doit entre autres les ouvrages NOTES ON NURSING (republié sans cesse depuis) et NOTES AFFECTING THE HEALTH, EFFICIENCY AND HOSPITAL ADMINISTRATION OF THE BRITISH ARMY. Boulot considéré avant toi comme sans valeur, vulgaire, n’attirant que des filles de mauvaise vie.  Malgré les racontars et les embûches, tu as persévéré dans l’application des principes d’hygiène de base, dénigrés à l’époque, tu as prodigué des soins à tous les soldats de la guerre de Crimée, sans considération de rang, brisant ainsi le protocole hiérarchique; tu as massé les pieds des agonisants, chuchoté des mots réconfortants aux soldats qui ont survécu à des opérations violentes et brutales.

Le 12 mai, le jour de ton anniversaire, on célèbre maintenant la journée internationale des infirmières et des infirmiers. Dans ma vie antérieure, j’ai étudié pendant une session en techniques infirmières au Cégep Édouard-Montpetit. J’étais dans une période confuse de ma vie. Je me cherchais. J’en ai retenu au moins l’importance de ton apport à la profession et une formidable admiration pour tous ceux qui s’attaquent, sur la ligne de front, aux douleurs et aux souffrances des autres, avec diligence et professionnalisme. Ils sont tes fils et tes filles. Ils sont un peu ce qui rend les hôpitaux humains, ce lien, ce pont, cette main, ces yeux compréhensifs, vivante présence, témoignage de compassion, entre le passage du médecin et le travail de laboratoire, des femmes et des hommes qui ont comme tâche de ne jamais oublier que nous restons humains, malgré nos cœurs qui déraillent et nos corps qui flanchent.

(J'ai lu, pour préparer cette chronique, l'excellent roman biographique de Gilbert Sinoué sur Florence Nightingale, «La Dame à la lampe») http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/La-Dame-a-la-lampe




 

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