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jeudi 28 novembre 2013

Comment rendre hommage à tous les écrivains québécois sans avoir l’air phony


Je suis écrivain, mais j’aime les écrivains.
Ce n’est pas une évidence, ni  une obligation. 
Ce n’est pas automatique, comme aimer sa mère. Ce n’est pas tout le monde qui aime les êtres humains. 

Malgré tous mes défauts et mes mesquineries, je persiste à aimer tous ces créateurs de livre d’un amour respectueux et notable, même si parfois j’en parle en mal, je médis de certains. Je ne dis pas que je suis en amour avec tous et qu’il n’y a pas de compétition entre nous. On se surveille, on pleure en cachette, on grince des dents et on fait parfois semblant d’être heureux du succès des autres pour ne pas avoir l’air con ou jaloux. Mais en général ce ne sont que des émotions qui passent et à la toute fin, ce qui reste, c’est l’entier respect que j’ai pour les gens qui ont publié un livre.

Sauvages, mesquins, grandiloquents, naïfs, outragés, frustrés, loquaces, silencieux, ordinaires, militants, engagés, précieux, surdoués, calmes, nerveux, assimilés, pro-souche, charteux pas charteux, prolixes, laconiques, gentils, méchants, généreux, chiches, narcissiques, empathiques, il n’y a pas grand-chose qui sépare les écrivains des autres vivants. Sinon qu’un jour ou l’autre on a accepté un de leur manuscrit  dans une maison d’édition professionnelle.

Chaque année des masses de papier s’empilent sur le bureau des chroniqueurs, sur les étagères des librairies. Des miettes seront retenues dans les livres primés, choisis dans la liste des prix littéraires, peu nombreux seront les livres dont nous aurons parlé, qui seront recensés, qui obtiendront même un papier, une critique. Personne ne publie un livre pour l’expédier directement au recyclage. Tout le monde a quelque chose à raconter, une histoire, un avis à donner, ces êtres humains sensibles et qui savent écrire font partie d’une frange congrue de la société, brûlante vérité depuis que nous connaissons le taux de littéracie des Québécois, la moitié d’entre eux étant des analphabètes fonctionnels.

Je vous parle de tout ça, car le Salon du livre de Montréal est terminé et que j’ai eu une pensée compatissante et amoureuse pour ces centaines d’auteurs qui ont attendu patiemment que quelqu’un se pointe à leur table de signature. Dans cette extrême solitude qui quémande l’attention, dans ce dénuement cruel, posture bénévole, qui ne fait qu’offrir un peu de nous-mêmes en mode pages. Depuis que je fréquente les salons du livre tout aussi bien comme écrivain que comme badaud, j’ai toujours ressenti cette gêne, ce malaise persistant devant les écrivains esseulés, flanqués d’une éditrice généreuse ou d’un ami supporteur. Combien ai-je croisé de grands écrivains laissés à eux-mêmes, d’inconnus heureux d’avoir fait publier leur premier livre avide de signer leur premier exemplaire, de pédants brisés, d’aimables personnes humiliées, bref le Salon du livre est pour la plupart des écrivains une expérience du vide assez drastique.

Je ne parle pas non plus des lectures publiques sans spectateurs ni des tables rondes devant trois mesdames perdues et un monsieur qui dort. Il y a une espèce de malaise congénital qui vient avec le Salon du livre, un espèce de mal que tous les écrivains prennent en patience parce que c’est le livre que nous y célébrons, la matière abstraite du livre, au-delà des écrivains, qui est mise de l’avant lors de ce type de salon.

Justement, il serait temps de lever notre chapeau à tous les membres de la fratrie des écrivains. Il faudrait prendre le temps de remercier un à un toutes ces personnes, je voudrais célébrer tous les créateurs de livres, tous les chouchous des critiques et ceux qui ne seront jamais recensés, les à compte d’auteurs comme ceux publiés chez Gallimard, les mauvais auteurs comme les classiques de demain, les enfoirés comme les enthousiastes, les écrivains qui vendent comme ceux qui ne vendront jamais, les heureux comme les mélancoliques, ils ont tout mon respect parce que tous croient encore au livre comme mode de communication et vénèrent le support papier tout aussi bien que la langue française.

Nous faisons tous partie de la même fratrie. Nous sommes tous frères et sœurs du livre, amoureux de la langue française.

Cette année, au Québec, on a publié soixante-six premiers romans et environ sept cent trente romans, rééditions comprises et toutes langues confondues. La littérature et le livre intéressent encore les gens, suscitent encore des vocations, veut encore dire quelque chose pour tous ceux qui ont pris le temps d’écrire un roman, un livre de poésie, un livre pour enfants, des historiettes, un livre pratique, du roman policier, fantastique, d’horreur, de science-fiction et les mille genres bâtards qui voguent entre toutes ces dénominations. Le livre est bel et bien présent dans nos vies, il est même en recrudescence.

Je mélange un peu les choses, vous me direz. Vous avez raison. C’est qu’ici je n’ai pas voulu faire de distinction entre la littérature avec un grand «L» et toutes les autres formes phénoménales du livre. En soi, toute personne qui a un projet de livre ne peut pas ne pas aimer la langue française. C’est cette portion de la fratrie qui fait de nous une famille élargie, disparate et tendue, mais une famille.

Si nous entendons tous ces gens comme faisant partie de la grande famille du livre, nous pourrions les respecter comme tel, leur attribuer un cachet pour leur présence lors des séances de signature, et un cachet, également, lorsque ceux-ci vont lire un extrait de leur œuvre.

Je lance l’idée, comme ça, après avoir constaté les multiples irritations causées par ce manque de considération de base, signe de bienvenue naturel, pour les écrivains, au Salon du livre.

Pour remédier à cela, il suffirait de payer les membres de la fratrie qui se font un plaisir de venir signer leur livre. En somme cela signifierait: si vous faites partie de la grande fratrie du livre, vous valez quelque chose. En célébrant le livre abstrait au Salon du livre, nous vous l’affirmons en vous payant si vous êtes en mesure de venir ajouter à l’animation du lieu en offrant votre temps pour signer vos livres. Nous vous célébrons et vous respectons en signalant aussi que votre présence comme lecteur mérite rémunération.

Certes, certains distributeurs donnent des rabais aux auteurs. Je les en remercie. Mais il faudrait que ce soit systématique. Vous êtes un auteur, nous sommes contents que vous soyez là, on vous donne un rabais.

Ça ne réglera rien des files inexistantes ni des lectures publiques à un spectateur, mais cette espèce de respect qui vient avec un cachet offert pourrait rendre l’exercice plus agréable pour la plupart des membres de la fratrie.





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